dimanche 20 septembre 2020

Itinéraire pour Cesarea (8/19 et demi)

 

   Le lecteur aura  remarqué plusieurs chemins, plusieurs auteurs. Les auteurs expérimentent des chemins, les chemins se croient, les auteurs se saluent.  L'itinéraire  pour Cesaria crée un chemin dans les poésies de Bolaño, Césaria étant une figure quasi mythique de la poésie dans "Les détectives sauvages". Les mots, phrases, poèmes de Bolaño sont en caractère gras.


                Nec spes, nec metus, c-a-d sans  espoir ni peur, tel est Bolaño en son poème.   Nous avons du temps pour rêver. Le tenons nous assez bien, sûrement pas, et la littérature est là pour nous provoquer. Car nous sommes « Ã  mi-chemin, ni crus ni cuits » !


Un tour dans la littérature

 

                Pour Rodrigo Pinto et Andres Neuman

1. J’ai rêvé que Georges Perec avait trois ans et me rendait visite. Je le prenais dans les bras, je l’embrassais, je lui disais qu’il était un enfant magnifique.


« L’enfant magnifique » (coll. particulière.)

2. A mi-chemin nous sommes restés, père, ni cuits ni crus, perdus dans l’immensité de ce dépotoir interminable, errant et nous trompant, tuant et demandant pardon, maniaco-dépressifs dans ton rêve, père, ton rêve qui n’avait pas de limites et que nous avons mille fois déchiffré et ensuite mille fois de plus, comme des détectives latino-américains perdus dans un labyrinthe de verre et de boue, voyageant  sous la pluie, voyant des films où surgissaient des vieux qui criaient tornade ! tornade !, regardant les choses pour la dernière fois, mais sans les voir, comme des spectres, comme des grenouilles au fond du puits, père, perdus dans la misère de ton rêve utopique, perdus dans la multiplicité de tes voix et de tes abîmes, maniaco-dépressifs dans l’incommensurable salle de l’Enfer où se cuisine ton Humeur.

3. A mi-chemin, ni crus ni cuits, bipolaires capables de chevaucher l’ouragan.

4. Dans ces désolations, père, où ne subsistait de ton rire que des restes archéologiques ;

5. Nous, les nec spes nec metus.

 

6. Et quelqu’un a dit :

                SÅ“ur de notre mémoire  féroce,  

                du courage mieux vaut ne pas parler.

                Qui a pu vaincre la peur

                est courageux pour toujours.

                Alors dansons, tandis-que passe la nuit

                comme une gigantesque boîte à chaussures

                par-dessus la falaise et la terrasse,

                où la courtoisie n’est pas une exception.

                Dansons dans le reflet incertain

                des détectives latino-américains,

                une flaque de pluie où se reflètent nos visages

                tous les dix ans.

 

                Ensuite est venu le rêve.

 

7. J’ai rêvé alors que je visitais la demeure d’Alonso de Ercilla. J’avais soixante ans et j’étais mis en pièces par la maladie (littéralement je tombais en morceaux). Ercilla en avait dans les quatre-vingt-dix  et agonisait dans un énorme lit à baldaquin. Le vieillard me regardait avec mépris et me demandait un verre d’eau-de-vie. Je cherchais l’eau-de-vie dans tous les coins et recoins mais ne trouvais que du matériel d’équitation.

 

8. J’ai rêvé que je marchais sur les Quais de New York et que je voyais au loin la silhouette de Manuel Puig. Il portait une chemise bleu ciel et un pantalon en toile légère, bleu clair ou bleu foncé, ça dépend.

 

9. J’ai rêvé que Macedonio Fernandez apparaissait dans le ciel de New York sous la forme de nuage : un nuage sans nez ni oreilles, mais avec des yeux et une bouche.

 

10. J’ai rêvé que je me trouvais sur un chemin d’Afrique qui soudain se transformait en un chemin du Mexique. Assis sur un faraillon, Efrain Huerta jouait aux dés avec les poètes mendiants de Mexico.

 

11. J’ai rêvé que dans un cimetière oublié d’Afrique je trouvais la tombe d’un ami dont je ne pouvais plus me rappeler le visage.

 

12. J’ai rêvé qu’un soir on frappait à ma porte. Il neigeait. Je n’avais ni radiateur ni argent. Je crois qu’on allait me couper même l’électricité. Et qui était de l’autre côté de la porte ? Enrique Lihn avec une bouteille de vin, un sac de provisions et un chèque de l’Université inconnue.

 

13. J’ai rêvé que je lisais  Stendhal dans la centrale nucléaire de Civitavecchia : une ombre se glissait entre la céramique des réacteurs. C’est le fantôme de Stendhal disait un jeune homme en bottes et torse nu. Je lui ai demandé et toi qui es tu ? Il a dit je suis le junkie de la céramique ; le hussard de la céramique et de la merde.

Stendhal …… Perec


14. J’ai rêvé que j’étais en train de rêver, nous avions perdu la révolution avant de la faire et je décidais de retourner à la maison. En essayant d’entrer dans le lit je trouvais de Quincey qui dormait. Je lui disais réveillez vous Don Tomas, il va faire bientôt jour, vous devez vous en aller. (Comme si De Quincey avait été un vampire.) Mais personne ne m’écoutait et je ressortais dans les rues sombres de Mexico.

 

15. J’ai rêvé que je voyais naître et mourir Aloysius Bertrand le même jour, presque sans intervalle de temps, comme si nous vivions tous deux à l’intérieur d’un calendrier de pierre perdu dans l’espace.

 

16 J’ai rêvé que j’étais un détective vieux et malade. Si malade que je tombais littéralement en morceaux. Je suivais les traces de Gui Rosey. Je marchais dans les quartiers d’un port qui pouvait être Marseille ou pas. Un vieux chinois affable me conduisait finalement dans un sous-sol. Il disait voici ce qui reste de Rosey. Un petit tas de cendres. Je lui répondais : pour ce qu’en j’en vois, ce pourrait être Li Po.

 

17. J’ai rêvé que j’étais un détective vieux et malade et que je recherchais des personnes perdues depuis longtemps. Il m’arrivait de m’apercevoir par hasard dans un miroir et je reconnaissais Roberto Bolaño.

 

18. J’ai rêvé qu’Archibald MacLeish pleurait – tout juste trois larmes – à la terrasse d’un restaurant de Cape Cod. Il était plus de minuit et même si je ne savais pas comment retourner chez moi on finissait par se mettre à boire et à porter des toasts à l’Indompté Nouveau Monde.

 

19. J’ai rêvé des Machabées et des Plages oubliées.

 

20. J’ai rêvé que le cadavre retournait à la Terre Promise monté sur une Légion de Taureaux Mécaniques.

 

21 J J’ai rêvé que j’avais quatorze ans et que j’étais le dernier être humain de l’Hémisphère Sud à lire les frères Goncourt.

 

22. J’ai rêvé que je rencontrais Gabriela Mistral dans un hameau africain. Elle avait un peu maigri et pris l’habitude de dormir assise sur le sol, la tête sur les genoux. Même les moustiques semblaient la connaître.

 

23. J’ai rêvé que je revenais d’Afrique dans un autocar plein d’animaux morts. A une frontière quelconque apparaissait un vétérinaire sans visage. Son visage était comme un gaz, mais je savais que c’était moi.

 

24. J’ai rêvé que Philip K. Dick faisait un tour dans la centrale de Civitavecchia.

 

25. J’ai rêvé qu’Archiloque traversait un désert d’ossements humains. Il s’encourageait : « Allez, Archiloque, ne flanche pas, en avant, en avant. »

 

 

26. J’ai rêvé que j’avais quinze ans et que j’allais chez Nicanor Parra pour lui faire mes adieux. Je le trouvais debout, appuyé contre un mur noir. Il disait où vas-tu Bolaño? Je lui  répondais loin de l’Hémisphère Sud.

  

« Poèmes et antipoèmes » de Nicanor Para - Présentés par Philippe Lançon-  Page 400 : 2ème sonnet de l’Apocalypse

 

27. J’ai rêvé que j’avais quinze ans et que, en effet, je quittais l’Hémisphère Sud. Au moment où je fourrais dans mon sac à dos le seul livre que j’avais ( Trilce de Vallejo), celui-ci prenait feu. Il était sept heures du soir et je balançais mon sac roussi par la fenêtre.

 

28. J’ai rêvé que j’avais seize ans et que Martin Adan me donnait des cours de piano. Les doigts du vieillard, aussi longs que ceux du Fantastique Homme Elastique, s’enfonçaient dans le sol et pianotaient sur une chaîne de volcans souterrains.

 

29. J’ai rêvé que je traduisais Virgile avec une pierre. J’étais nu sur une grande dalle de basalte et le soleil, comme disaient les pilotes de chasse, flottait dangereusement à cinq heures.

 

   NB -  Le faraillon étant  « un petit banc de sable ou de roche, qui est séparé d’un banc plus grand par un petit canal », suivant l’encyclopédie en 1751, on peut être interloqué par  une telle  précision du traducteur. Alonso de Ercilla, poète du 16 ème siècle, avec « La Auracana »  épopée du royaume du Chili,  donne  témoignage à la première personne des événements de la conquête espagnole (Wikipedia). Manuel  Puig était un romancier argentin, réfugié au Mexique dans les mêmes années que Bolano et Efrain Huerta  autre poète mexicain. Parra est Le poète qu’admirait particulièrement Bolano.  Macedonio  Fernandez est un écrivain argentin du début du 20 ème. Civitavecchia, port près de Rome a été la ville de résidence de Stendhal  lorsqu’il fut nommé consul en Italie. Il s’y trouve  bien une centrale électrique mais, suivant ma recherche,  thermique et non pas nucléaire.

 

Le poème comprend un peu mieux d’une cinquantaine de propositions …Ce sera donc en deux fois.

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