jeudi 22 octobre 2020

Itinéraire pour Cesarea (10/19 et demi)

I

10 – Avertissement : ce texte a été écrit lors du printemps 2020, période du confinement en France interdisant les terrasses de café et la promenade en bord de mer.

 

Il est  des cadeaux qui contiennent des vitamines. Chacun pourrait repenser à un cadeau qui l’a relancé, qui l’a remis en route de la vie. C’est une émotion assez simple, qui vaut une seconde éternelle de temps même pas perdu, de temps même pas retrouvé. Ce temps là, on en oublierait  la bribe d’un  souvenir  et  on ne pourrait plus goûter  le sel  de la vie.   Là, il  se rappelle … Le poète se souvient « pour »,  un ami. Cet ami, avec qui il a écrit une œuvre « à quatre mains »,  n’est pas tout à fait ordinaire puisqu’une légende presque inséparable de l’œuvre s’est construite dans une  complicité  difficile à éclaircir complètement.  « Conseils d’un disciple de Joyce à un fanatique de Morrisson », tel est le titre de ce roman. Dans une préface datée de 2005, donc après la mort de Roberto Bolaño, l’ami en question,  Antoni Garcia Porta  écrivain  espagnol,  tente de révéler ou emmêler, chacun pourra juger suivant les strates  d’explications, les conditions d’écriture de cet exercice romanesque.  La chose qu’on pourrait croire vraie est que l’éloignement aurait servi  la contrainte d’écriture à quatre mains. Bolaño était à Gérone quand Porta était à Barcelone. Porta tient à ce que Bolano soit le conducteur de cet attelage, mais le début de l’intrigue était de Porta. Peu importe, une amitié dans le travail artistique, cela ressemble bien à de la vitamine. Pour démontrer la bonne foi de l’entreprise, un photomontage présente ensemble  Joyce, Bolaño, Porta et Morrisson. Le titre est un pastiche du titre du poème  « Conseils d’un ami de Marx à un fanatique de Heidegger » d’un autre des amis de Bolaño, Mario Santiago soi même. Oui, le tout premier de notre série, celui du poème de l’âne, ou de la moto noire, comme on voudra. Dans ce présent poème, apparait la figure d’Ana, héroïne féminine du roman à quatre mains. La simple héroïne romanesque à qui la vie du poète continue  à faire une place vitaminée lui a envoyé un agenda du vin. Bon

.

Couverture des « Conseils …. » avec le photomontage regroupant Joyce, Bolano, Porta et Morrisson  aux éditions Bourgois  

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Pour Antoni Garcia Porta

Tes cadeaux m’ont ému

Ils ont été utiles et contiennent des vitamines

(Des enveloppes pour envoyer des lettres,

du papier à écrire,

l’agenda du vin qu’Ana

a envoyé pour moi,

à l’occasion du fromage,

un yaourt, un pain au lait,

ces matins de printemps

où tu venais me réveiller

et où j’étais si mal,

des pommes, des oranges,

parfois un paquet de

Gauloises, quel luxe, des pointes Bic,

De bonnes nouvelles.)

J’écris ceci

Pour te remercier

 

Le poème « Molly » a pour nous,  les sanitaires exclus sociaux, un parfum de merveilleux. Non seulement « c’est pas mal » Roberto, mais c’est encore bien mieux, c’est l’idée du  bonheur absolu, le paradis terrestre comme si on y était, la conversation en art vivant, que sais-je Roberto,  tu ne nous croiras pas, on en rêve, de ces terrasses et des deux bières qu’on nous servirait.  «Garçon, deux bières s’il  vous  plait ! Oui, pour Molly et pour moi ! »

 

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Molly

 

Une fille avec des livres

Et un sac à dos vert.

143 pesetas pour une livre irlandaise,

C’est assez, non ?

Ce n’est pas mal.                                                                        

Et deux bières à une terrasse

De Barcelone.

Et des mouettes.

Ce n’est pas mal.

 

Et des mouettes,  oui Roberto, ce n’est pas mal du tout. En croirais-tu tes yeux ?  Croirais-tu que  c’est inatteignable ?  Non, tu ne peux pas le croire et tu n’auras pas à mettre cela en ta mémoire. Et Molly est-elle là, attendant avec nous que la terrasse ouvre ? Croire qu’aujourd’hui, ceci n’existe plus, personne n’aurait osé l’imaginer. 

« Adam et Eve » à l’Espace Paul Rebeyrolles  d’Eymoutiers (23)