mardi 21 juin 2022

# 7 : Le butoir du monde

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Jouez-moi SVP 




Laurent



"Je me dis que chacun s'en va aux accents de sa propre musique"
Lawrence Durell



Dès que Starship One est rentré au paddock et que Martha peut enfin remettre un pied sur le plancher des vaches, on commence à perdre sa trace. Grace à une capacité d'anticipation motivée par la Froussette, elle sort provisoirement des radars. Qui peut deviner ce qu'ils ont combiné tous les deux ? Il est probable que Martha ait reçu une forte somme d’argent de Musk, directement virée sur le compte de son association : « How dare You ! ». On imagine, au mieux, que c’est le financement qu'elle espérait pour le continent de plastique, au pire, que c’est l’argent versé pour acheter son silence. Elle réapparaît soudainement, deux mois plus tard, à la Knesset, devant un parterre de journalistes et de hauts fonctionnaires médusés par le nikab vert sunnite avec lequel elle a couvert ses cheveux et voilé le visage.

 Voici un extrait du discours invraisemblable que Martha Lindkquist a tenu le 23 juin de l’année du Lièvre devant la Knesset à Tel Aviv, Etat du Davidoff :

« - Avez-vous encore conscience mesdames et messieurs les députés que vous habitez une région en lieu et place d’un eldorado que l’on nomme : « le croissant fertile », qui était autrefois une région prospère, bénie des dieux, qui a vu naître l’agriculture et l'élevage à l’âge du Néolithique ? Et êtes-vous maintenant assez lucides pour réaliser que votre croissant fertile n’est plus qu’un vieux beignet rassis et sans aucune saveur, sur lequel vous vous êtes assis comme sur un coussin moelleux ? (…)»




Durant le printemps de cette année du Lièvre, on enregistre des records historiques de chaleur : 36 degrés à 9 h am à Malmö, au Royaume du Daim. L'ours polaire se déroute de plus en plus souvent vers les zones urbanisées, comme les stations météorologiques, les embarcadères pour accueillir les bateaux de touristes, enfin, partout où l'homme est présent, comme si l'ours ne se méfiait pas de l'homme. Bobby a quitté le couple que forment Sophie et Willy et il erre le long des côtes du Spitzberg. Martha pourrait le suivre en temps réel si elle s'intéressait encore au sort de ses "filleuls", mais elle est tombée sous une dépendance chronique à la Froussette, qui la pousse à renier son dieu et les sept plaies de notre seigneur. Elle est décidée, malgré tout, à rejoindre Sulla Chee qui donne une série de concerts privés à Tokyo avec les Babelcrampies. Le couple se reforme, plus amoureux et plus sulfureux que jamais. Sulla invite Martha sur scène, incognito, costumée en geisha, pour l'accompagner sur le titre planétaire : "We don't know what tomorrow will brings". Martha slame le texte comme une bête de scène. Sulla n'en revient pas ! Quand au cour d'un bis, le public réclame le retour de l'invitée surprise sur scèneSulla commet l'erreur de dévoiler la véritable identité de la geisha. Quand les nightclubbers de l'Atom Tokyo réalisent qu'ils ont, face à eux, l'icône de la jeunesse incorruptible, il se ruent comme des loups-garous enragés sur le dance floor. Mais Martha a déjà pris congé.

Jouez-moi svp
                                                                                                            


"Ils devront bien admettre que c'est l'âme qui a mangé le cœur "   

                          

Camille recherche Martha sans relâche, sans bouger de chez lui. Il travaille, à présent, pour l'association gouvernementale "HarpooNet" qui l'a recruté parmi des dizaines d'autres hackers repentis. Il est pour ainsi dire "surarmé", avec à sa disposition cinquante super ordinateurs combinés en réseau. Il déplore seulement que son grand amour ne soit pas, tout comme lui, connecté à un bracelet judiciaire électronique, ce qui lui faciliterait considérablement la tâche. 

Martha erre elle aussi, comme Bobby, dans les rues de Tokyo, guidée par un secret. Elle a compris que pour elle, il n'y avait plus qu'un but possible. Que le but était le chemin.



Camille se démène pour la retrouver. Une nuit, depuis l'espace de coworking des bureaux tenus secrets à Montreuil, qu'il occupe jusqu'à 16 heures par jour, il lui vient une idée. Un grand rassemblement international pour le climat doit avoir lieu à Sao Paulo. Plusieurs personnages influents, dont Al Gore, doivent intervenir. Camille est convaincu qu'elle ne viendra pas; qu'elle est planquée quelque part dans une mégalopole, où elle se sent à l'abri. Il a raison. L'organisation du rassemblement de la YFC (la jeunesse pour le climat) est prise de court. La société Double You, à la demande de Sven Lindkquist, doit absolument activer un hologramme de Martha pour la remplacer à la tribune. Reste encore à trouver le contenu du discours que tiendra l'hologramme. Qu'à cela ne tienne, Sven a tout prévu. Il a gardé dans les archives de son SMarthaphone un vieil enregistrement qui date des huit ans de sa fille, à l'époque où elle était, pour la première fois de sa vie, confrontée à l'urgence climatique et qu'elle jouait dans sa chambre à imiter Vandana Shiva. En bidouillant la voix, on y verra que du feu. Quand c'est au tour de Martha de parler, l'hologramme n° 7 apparait derrière un rideau qui a été tiré sur la scène. Le colloque est retransmis depuis la plateforme One dollar pixel. Quand Camille découvre que l'hologramme n°7 n'est autre que l'image de celle qui lui est apparue pour la première fois, moulée dans une petite robe noire parisienne, son cerveau se met à tourner à mille trois cents tours minutes.
                                                                       


Jouez-moi svp


 " Que vous aimiez ça ou non, le réchauffement climatique est devant nous, et si on ne fait rien du tout d'ici l'année du Dragon, nos plages ressembleront à d'immenses barbecues, les villes à des saunas pour mémères et ces messieurs les capitaines d'industries n'auront pas d'autre choix que de les faire tremper dans un verre, comme leur dentier ! "
 -Oh ! putain, et l'audience était ravie et elle en redemandait !  " Va-y Martha ! scandait-on, Envoie nous tous ces guignols au tapis !" Une tuerie…" Continuez d'ignorer le pire ! Vous avez déjà vu un tableau de Jérôme Bosch qui s'appelle "Le Tour de l'enfer" ? Eh bien qu'on y regarde de plus prés, peut-être aurez-vous le privilège de vous y reconnaître !"



C'est plutôt mignon de découvrir Martha, à l'âge de 8 ans, précoce, certes, mais dépourvue du sens de la mesure… Camille attend le moment opportun avant de passer à la vitesse supérieure;  il est prêt à mettre tout ce qu'il a dans le ventre. Il a repéré la bécane qui faisait la liaison avec Double You, mais il n'est pas encore parvenu à entrer dans le "saint des saints". Pour Camille, ce bazar c'est du gros budget; young miss Martha devra en dire encore un peu plus. Pour se sentir plus proche de son égérie, il avale trois gélules d'un tube de Froussette qui lui est fourni par le ministère de la défense, dès que l'un d'entre eux peut débloquer une situation dite "sensible".
"A mon avis, vous regardez trop de films de science fiction. Vous vous imaginez peut-être vous sauver juste au bon moment, avant que : Fchwiiiit, tout flambe … Quand les plus riches d'entre vous se feront servir des cocktails malabar avec des sandwichs au cheddar et aux poppers au wagon-bar d'un train pullman. Vous êtes absolument sûrs que vous méritez votre place en première classe et que les gens qui peuplent les forêts urbaines n'ont que ce qu'ils méritent : un wagon de queue ? Moi je dis : Bullshit !"





"Bullshit". Elle avait dit : "bullshit". Camille veut se fondre en Martha. Il veut saisir comment Martha pense. Penser comme elle, en même temps, rien de plus difficile. Il pense : bullshit, comme on dirait "rosebud", comme enfin on dirait : McGuffin. Il pense : mot de passe … Il entre le mot de passe : "Bullshit". Et il attend… Il était en train de consommer un sous-marin féta olives prosciutto quand il entend de la friture dans son casque. Il lâche des yeux le sous-marin bien garni pour revenir vers l'écran, quand il voit la foule se dissiper, s'agiter, et foncer vers le pupitre où se tenait la fausse Martha qui venait de disparaître comme la fée clochette. Camille bondit. La garniture du sous-marin bien garni se répand sur le tapis en coco. Une forte lumière se fait jour à l'arrière du bureau, éblouissante et bleue; dans le dos de Camille, une voix de fillette surgit du fond de la pièce : elle parle



" - Ma grand-maman et mon grand-papa m'ont appris une chose précieuse dans la vie : qu'il faut respecter la nature; et respecter l'environnement, c'est d'abord respecter son corps, car il est  justement la nature ! autrement dit : E + c < N = V"

Elle est là devant Camille, dans le réduit qui lui sert de bureau. Elle cigale sa parodie de discours, absolument ravissante, dans sa robette noire sans manche et "ouh !" ses petites tennis bleu corail ! Elle ne doit pas dépasser le 34 en pointure, à mon avis . Maintenant qu'elle est à lui, qu'il l'a subtilisée au nez et à la barbe de millions d'internautes, le plus dur est fait; il n'aura aucun mal à la télécharger chez lui. A présent, tout est rentré dans l'ordre. Il est l'épeire diadème sous l'abribus volté de lumière, qui enroule sa victime avec le rouet de ses membres légers, rythmant staccato, pour la ramener à l'orée de la toile où elle tient son garde-manger.

" Oh ! Nessim, j'ai toujours été si forte. Est-ce cela qui m'a empêché d'être vraiment aimée ? "

Martha s'installe dans un hôtel du quartier du Shimbashi. Elle est décidée à fuir Sulla. Vers les 11 h PM, elle reçoit une notification de son application "Save Ursus maritimus". C'est le drame ! Bobby a été abattu par un groupe de chasseurs amateurs qui (sur un projet Découverte du CE), organisait un safari sur la banquise. "Tué par une flèche" était-il précisé dans le communiqué. Martha s'effondre. Avait-elle jamais pris la peine de se battre vraiment pour les ours polaires ? Non. N'avait-elle jamais voyagé avec le Blablabla dans le seul but de les retrouver ? Non plus. Avait-t 'elle été digne de la confiance que lui avait faite BB ? Jamais. Et Bobby était mort, un matin de l'été arctique sur les côtes de l'île du Spitzberg, parce que des hipsters désœuvrés avaient fait un carton, quelque part dans le cercle polaire, où il étaient sûrs que personne n'aurait pu les en empêcher.




"Salope ! avait crié Martha (avec une rage à réveiller les clients de l'hôtel), en apprenant que l'assassin de Bobby était une assassine : Debby Reynolds, Head manager de "Puppies and panties",  30 ans, mariée trois fois, sans enfant.
 " -  Grosse pute, j' veux que tu meurs, qu' tu crèves, que tu t' fasses fourrer par un ours ! " 

Mardi, à 6h 39 am, on est venu arrêter Sven et Beri Lindkquist à leur domicile de Stockholm. Ils sont accusés de détournement de fonds, de blanchiment et de fraude fiscale. Les bras leur en tombent. Respectivement présidente et trésorier de l'association : "How dare You !", ils protestent, clament leur innocence et répètent à l'envi qu'ils ont toujours agis en bonne conscience pour servir les intérêts de leur fille. Mais au fur et à mesure qu'on leur déroule le fil des évènements qui jalonnent "l'affaire Martha", comme la presse la baptisera plus tard, ils comprennent que leur fille chérie s'est rendue coupable de graves exactions. Ils comprennent qu'ils ne savaient rien de la vie de Martha, qu'en réalité, elle était devenue étrangère à sa famille et à ce monde, depuis bien longtemps.

A l’aune de son procès qui a lieu par contumace, Martha Lindkquist (23 ans) avait déjà détourné 2754,48 couronnes et 180 000 000 dollars. Elle reste introuvable. Ayant anticipé son arrestation à son domicile de Lausanne, Camille active les cinq derniers hologrammes restant d’elle, dans cinq endroits différents du monde. Trois d’entre eux, ( les n° 22, 38 et 41) que des climatosceptiques orthodoxes ont reconnu à Réno, Jérusalem, et Salvador de Baia, sont ensevelis sous du goudron et des plumes au cours de simulacres de procès. L'un d'entre eux, le n° 8 apparaît au tiergarten de Berlin, en plein milieu de la fosse aux ours, lesquels se  couchent au pied de l'hologramme en signe d'allégeance. Un autre a été identifié à Foix au cours d'une représentation d'un petit cirque local "le cirque Bessono cycles & monocycles". A la fin de la représentation, l'hologramme n° 19 s'adresse ainsi à la foule : " Et maintenant, mesdames et messieurs, nous allons passer parmi vous afin de faire une petite quête". Le maire de la ville qui était présent ce soir-là, affirme que la p'tite avait attrapé un sévère accent ariégeois.

Pour protester contre la condamnation de leur ambassadrice, 747 teen-activistes  organisent un suicide collectif via Snapchat et passent à l'acte dans le même laps de temps, laissant sur leur portail, une tripotée d'émoticônes, rigolos ou mignons, et leur gentille hémoglobine en guise de dernier adieu.

Martha sort de sa planque du quartier Shimbashi pour aller à la rencontre du pape François de passage à Tokyo. Quand elle se présente à lui, avec son kimono de geisha, elle le supplie de la bénir. Quand le pape lui demande quel est son nom, elle lui répond qu'elle est la nouvelle Maria Magdalena. Le pape François met alors un genou à terre et lui dit : - Alors, c'est à toi de me bénir, mon enfant.



Le kidnappeur d'hologramme baptisé : "le fêlé", est activement recherché dans Paris où il a été localisé. Camille ne veut plus quitter le n°7. Il a bien essayé de lui remonter la robe sur les hanches pour lui faire l'amour, mais il a compris que c'était techniquement impossible, que de toutes manières, ce n'était pas de Martha dont il était vraiment tombé amoureux le jour où elle s'était présentée devant l'Assemblée nationale, à Paris, dans sa petite robe de nuit, mais de son image, celle qui lui était apparue sur l'écran de son iMac, comme elle est là, ce soir, devant lui, évanescente, immatérielle, sans enveloppe charnelle, libre ! Il passe des heures à la regarder, alternant la veuve poignée et la contemplation orpheline. Il a réussi à effacer la bande son qui contenait le discours délirant d'une fillette de huit ans. Désormais, elle chante avec la voix grave de Maggie Gillenhall. Elle chante pour Camille :"I want to mary a lighthouse keeper"



 Lorsque la chanson s'est définitivement perdue dans la confusion de son esprit, il se dirige vers une commode à côté du lit, ouvre le tiroir et en sort un revolver 45 mm, puis revient au milieu de la chambre où se meut l'hologramme n°7. Il lui tire dessus, à deux reprises - Une pour toi et une pour moi mon amour ! lance t-il. Camille se rassoit alors sur le lit pour constater que Martha n° 7 ne peut pas mourir, qu'elle ne pourra jamais partir avec lui.  Elle chante toujours, imperturbable, avec la même émotion : "I want to mary a lighthouse keeper, lighthehouse, keeping compagny. "

Il fait une gorge profonde au canon de son 45, presse sur la détente, et sa tête, toute auréolée de feu, vient rejoindre et nourrir le ballet cosmique de poussières d'hologramme . 

 


La police tokyoïte perquisitionne l'hôtel Nagakin Capsule Tower où Martha Lindkquist s'était réfugiée depuis plus d'un mois. Elle a été reconnue par le garçon d'étage, grâce au déguisement (il était au concert des Babel cette nuit-là). les flics somment l'occupante de la capsule 217 de débloquer la porte. Après la troisième sommation, ils l'enfoncent avec un bélier hydraulique. La capsule fait à peine trois mètres carré. Martha est là, gisant sur la bannette, le teint de sa peau a viré au violet et le corps s'est momifié. Overdose accidentelle ou suicide ? L'autopsie pratiquée sur le cadavre ne tranchera pas. Chacun s'en va aux accents de sa propre musique"

Le rapatriement du corps et les frais des obsèques sont pris en charge par le royaume. La cérémonie de crémation a lieu dans la plus stricte intimité du cercle familial et en présence du roi et de la reine . 250 000 personnes se sont massées autour de la chambre funéraire afin de rendre un dernier hommage à leur héroïne.

Beri et Sven sont définitivement innocentés et relaxés dans l’affaire «Martha». 

La chanteuse des « Babelcrampies », Sulla Chee est arrêtée dans un squat de Séoul, pour homicide involontaire et usage illicite de la médecine.

Les cendres sont confiées au capitaine Effraïm qui s'envole avec l'équipage du Blablabla pour un dernier voyage. Sept jours pour rejoindre le cercle arctique. Un 22 février de l'année du Singe, le ballon survole l'île du Spitzberg, où vivent Sophie et Willy et deux autres familles d'ours venues les rejoindre. Flottant au-dessus de la base désertée de Rakkiovaani, le capitaine délivre les cendres qui, au lieu de descendre vers la terre, remontent au-dessus de l'aérostat. Les ours, curieux, regarde les cendres monter et le ballon descendre, inexorablement.




Pendant que le ballon descendait rejoindre la terre ferme, le capitaine Effraïm se souvint que Martha lui avait dit, au cours de leur dernier voyage dans le pacifique nord, que si jamais il lui arrivait quelque malheur, elle aimerait être brûlée et que ses cendres soient dispersées sur le septième continent qu'elle aimait de toute son âme. Le capitaine en avait été très étonné, comme à son habitude, et avait répondu : - n'importe quoi, moussaillon, comme toujours ! Mais c'est entendu.
Il aurait voulu tenir sa promesse, mais depuis ce vol du côté des îles Hawaï, le continent de plastique était devenu une réserve naturelle au même titre que le Serengeti ou le parc national de Yellowstone. Le septième continent avait été rebaptisé : Parc Naturel Régional Martha Lindkquist et le survoler était aujourd'hui strictement défendu. 
      

 
Jouez-moi svp


Musique : Institut, The Smile, Sqûrl, The Sorenprfbs, Joy Division










Vie de Martha
, une saga en sept épisodes signée Maestro & Nunki Bartt et avec le précieux concours de Snow Rozzett




La saga est jalonnée d' extraits de l'œuvre de Lawrence Durell, " Le Quatuor d'Alexandrie", "De Marquette à Vera Cruz" de Jim Harisson, ainsi que d'un proverbe arabe qui est réellement un proverbe arabe. D'une citation de la Bible, ainsi que celle d'un poème de René Char. D'un extrait de : "L'hypothèse de Gaia" de James Lovelock, d'un aphorisme grinçant signé Francis Picabia, de vraies fake news trouvées, çà et là, sur la toile






La saga est principalement rythmée par les chansons du groupe Institut,
baignée dans la musique de Benjamin Britten, et accompagnée de Guest remarquables comme : The Smile,  Sqûrl, The Soronprfbs, Björk, Can, Leonard Cohen, For Montréal, Other live, Rina Ketty, Joy Division 

Merci à Greta T, à Edward Munch, Jérôme Bosch, Bruno Montpied, Chesley Bonestill, Jean-Luc Godard, Bong Jon-Hoo, Karel Zeman, Elon Musk, BB, Tintin, ainsi qu'au Pape François






          
"Vie de Martha" est dédiée à Inger Nilsson
(1959 - toujours en vie)





















dimanche 5 juin 2022

Vie de Martha # 6 Au delà du cri

                                                                                                                                                     

 "Les remissions radicales ne sont pas de ce monde"

R Harrisson


Considérablement avarié par l'orage supercellulaire, le Blablabla survolait à très faible altitude, les îles Hawaï, dans le grand pacifique Nord.

« - Ô ! Comme c’est grand, comme c’est beau ! » C’est ce qu’avait cru entendre l’équipage, après que l'on t'ait trainée sur la passerelle, au beau milieu du vacarme que faisait le vent qui s’engouffrait dans la voilure crevée par les grêlons. Alors que le capitaine tenait juste à te montrer le survol de la petite l’île de Moloka’i, la plus déserte et la plus sauvage de l'archipel, toi, tu voyais toute autre chose ; Transilluminée par la Froussette, tu voyais ce que les autres ne pouvaient ni voir, ni soupçonner : le super continent de plastique. Tu l’as vu alors qu’il était invisible à l’œil nu, en surface. Et tu as fait part de cette découverte au capitaine Effraïm, le suppliant de te faire descendre par l'échelle de corde pour t'assurer que l'on pourrait y faire construire, à l'avenir, un centre de recherche spécialisé dans les espèces endémiques liées aux billes de plastique, et le capitaine a souri et il t'a fait, derechef, reconduire, sous bonne escorte, jusqu'à ta cabine. 

La plupart des océans de la planète contiennent des tourbillons marins gigantesques, des maelstroms formés par la réunion de courants circulaires alimentés par les vents et les forces créées par la rotation de la Terre. Et tout ce qui flotte dans ces tourbillons finit attiré en son centre. Il en existe cinq. On nomme ces tourbillons : les gyres ou : "vortex". Le plus grand d’entre-eux, « Le Great Pacific Patch » est aussi appelé : le septième continent.  


Karel Zeman, "Le dirigeable volé" 1966
                                                                                                   

 Quand tu as eu seize ans, tu ignorais que tu ne grandirais plus, que ton corps stopperait définitivement sa croissance. Que tu garderais la taille d’une fille pubère, que tes seins ne défieraient jamais les lois de la gravité, que tu ne deviendrais jamais une femme comme ta mère, la comédienne Beri Hansen. Que tu conserverais cette démarche d'éléphanteau, les pieds légèrement rentrés en dedans, les mains toujours jointes, tirant sur les manches de tes pulls; ce léger balancement du bassin d'arrière en avant, quand tu es assise et que tes yeux plongent dans le vague pour réfléchir. Et puis il y a ta propre voix, que tu ne peux faire entendre qu’au-delà du cri. Que tu es pareille à Oscar dans le roman de Günter Grass : Le tambour. Mais la comparaison s’arrête là. Tu n’as pas besoin de tambouriner pour aller prêcher dans le désert. Tu accusais les puissants d’avoir volé l’ambre de ton enfance, mais l'aphorisme s’inverse petit à petit. Il pourrait se résumer à cette simple question : « Qu’as-tu fais, toi que voilà, de ta jeunesse ? » 

Paul Verlaine et Arthur Rimbaud (Bruxelles 1873)


Le 29 février de l'année du Tigre, Martha consigne dans son journal un poème des Illuminations, celui qu'elle considère comme le plus beau poème du monde : "Départ". Elle sait qu'elle habite à l'intérieur du poème, qu'elle en est prisonnière, que chacun des mots écrits lui apparaît comme une prière, comme un sanglot rendu.



      Jouez-moi SVP

                                                                                             

Départ

Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs

Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours

Assez connu. Les arrêts de la vie - ô rumeurs et visions !

Départ dans l'affection et le bruit neufs !


" crois-tu être honnête quand tu as leur sac d'avoine autour du cou ?"

 Il se forme de nombreux projets autour de ton nom, des projets de biopics, de films d’action, d’animation, d’exploitation pornographique…Quant à la liste de ceux qui voudraient ta peau, elle n'a jamais été aussi longue. Depuis que le président Lee est mort sur le parcours 18 du golf de Salinas, tué par une balle perdue, alors qu’il s'apprêtait à rendre une fiche quasiment parfaite, tu n'as pas tardé à te faire de nouveaux ennemis. Tancredo De Salveira, le délirant chef d’état du Tudobem aimerait, je cite : « te bouffer les amygdales avec un Perfetto Tannat, grand cru. Quant au Czar du Bloc Moviètique, Kiryl Trepanek, il souhaiterait te faire revivre ce que la chienne Laïka a enduré dans le cosmos, en 1957, à bord du Spoutnik II. Tu pourrais t'en amuser, quand, ironie de l’histoire, tu reçois cet appel masqué d’Elon Musk, t'offrant de faire partie du prochain vol touristique à bord de sa méga-fusée Starship1, pour un vol d'une durée record de 28 heures, histoire de fêter le nouvel an chinois, loin, très loin de la Termit'Terre. Tu deviendrais ainsi la plus jeune astronaute de l'histoire de la conquête spatiale à faire la bamboula à 800 kms de la planète bleue. Tu aimes Musk. Tout comme lui, tu as saisi que : "le ciel était en haut et l'enfer en bas."



"Comme un homme autonome, une spécialité américaine qu'on rencontrait rarement en Europe"

Tu admires Musk et tu sais que vous pourrez vous comprendre tous les deux; qu'après tout, vous êtes de la même famille : deux autistes Asperger, GIR 2/3. Ce que tu ignores encore, c'est que le fondateur de Space X a une grande idée derrière la tête, que tu fais partie de ses plans et qu'il ne compte te mettre au parfum qu'une fois qu'il sera bien sûr que vous serez en orbite. Tu fais tes adieux à l'équipage du Blablabla, ainsi qu'au seul maître à bord, le légendaire captain Effraïm, qui te dévisage une dernière fois avant le départ pour s'assurer que tu es clean. Une fois rassuré, il t'embrasse comme du bon pain, ce que tu détestes, parce que tu trouves qu'il sent mauvais. 
Elon Musk a convié quatre de ses plus grands investisseurs pour vous tenir compagnie sur le Starship One, pour fêter la nouvelle année du Lièvre qui s'annonce. Le gratin de la jet set, paraît-il. Il est vrai que tu n'aimes pas tellement ça, toi, t'amuser. Tu penses sérieusement que c'est une perte de temps. Tu nourris secrètement l'espoir d'entrevoir depuis la fusée, depuis le cosmos lugubre et froid, le septième continent que tu aimes et que tu considères comme les fondations d'une nouvelle Atlantide, un refuge pour tout ceux qui vivront en lien étroit avec la mère Nature, demain, bientôt, peut-être. 
 



10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 3, 1, 0 MISE à FEU
                    

Jouez-moi SVP


Elon a dessiné et conçu lui-même les combinaisons spatiales que vous portez. Elles ressemblent à ces doudounes Uniqlo, orange Éluard, mais tu as très vite remarqué un léger détail ; qu’à la jointure des cuisses, à l’emplacement même du pubis, Musk a laissé un trou, cerclé par un disque de caoutchouc. Il n’échapperait à personne que ce trou ressemble à s'y méprendre à un Glory Hole. Lorsque tu lui demandes des explications, il essaie de te rassurer. Au départ, le vol du Starship One ne devait être composé que d'hommes et la combinaison avait été conçue essentiellement pour eux, pour satisfaire les besoins les plus urgents, car, ajoute t-il, "- Vous devez savoir que la pression, à cette altitude, comprime excessivement les vessies, ma chère. De surcroît, j'ai décidé que le champagne coulerait à flot, donc nos vessies seront mises à contribution, mais si nous visons bien, nous pourrons remplir nos flûtes, Ha ha ha ha ! " Tu avais répliqué avec une légère grimace : "Et moi, je pisse jusqu'à la Lune ?" 


Elon Musk


Monsieur O’ Brian (du groupe e-Pickles Inc.), expliquait justement à Monsieur Falconetti (des assurances Stocker jr and Cheney ), comment il avait réussi dans les affaires, en créant des bulles spéculatives sur l’exploitation des mines de phosphates au Philistan. A l’office, les champagnes étaient prêts, les verrines dressées sur des plateaux d’argent et les milliardaires étaient déjà là, avec leur nœud papillon autour du cou. Monsieur Baxter (Patron de Baxter & Baxter), sortit des chiottes en réalisant une très jolie pirouette sur lui-même et lança à Elon Musk   - Eh ! dit Elon, j’ viens d’avoir une idée ; que dirais-tu, la prochaine fois de mettre une remorque étanche sur Starship One?; comme ça, tu pourrais trimballer tout tes actionnaires. Waffwaffwaff !
Musk s’était marré et avait laissé échapper un pet, si fort, que le Glory Hole avait joué le rôle d’un pot d’échappement qui avait envoyé le milliardaire, par rétropulsion, dans le sas caoutchouté qui séparait la cambuse de la chambre des instruments, renversant le saut à glace et provoquant un joli ballet aérien de glace pilée. L’ambiance était à son climax. On allait enterrer cette année du tigre en faisant un tel barouf qu'on pourrait les entendre jusqu'à Alpha du centaure.

Intermezzo

 Mais pensons à toi, Martha, seule au milieu de ces hommes, que tu as appris à connaître. Devant toi, à travers un hublot, la Terre. Vous survolez le continent Africain. Pas un nuage ne vient chatouiller cette oreille d’éléphant. Tu piaffes. Tu guettes le moment où vous vous trouverez juste au-dessus du continent de plastique. Tu attends. Tu te demandes combien il faudra de temps à Starship One pour atteindre la zone. Tu appelles Musk par le biais de ton micro HF, car tu voudrais lui parler. « – Qu’y a-t-il Martha, votre verre est vide ? – Oui, mais là n’est pas la question ; quand arriverons nous sur zone ? Vous m’avez promis ! – Mais ce n’est pas moi qui décide Martha, c’est la rotation de la Terre ! »
 Musk quitte discrètement ses invités pour te rejoindre sur la coursive où tu passes ton temps à regarder sous les jupes de la planète. Pour toi, cette boule de billard représente ce que la France représentait pour Jeanne-la-pucelle, jadis : un pays chéri.

 

Chesley Bonestell, "Mister Smith goes to Venus" 1950


Fin de L'intermezzo


"Le monde est pareil à un concombre : aujourd'hui dans la main, demain dans le cul"
                                                                            Proverbe arabe



- Venez Martha, suivez-moi dans le module Gagarine, d’où je vous promets une vue imprenable. Tututut ! ne discutez pas, vous allez comprendre! 
En effet, au centre du minuscule compartiment, un gros hublot cloche, au sol, offrait une vue de la Terre à son nadir absolu, mais là où Musk bluffa Martha, c’est quand il actionna un joy stick relié à un logiciel, qui permettait à tout observateur de zoomer sur une zone précise, avec une résolution prodigieuse.
Martha s’était mise à genoux et ramassée en boule, fascinée par ce qui ressemblait à un nouveau jeu vidéo. Dans cette position elle offrait sa croupe nubilaire au nabab qui s’en émouvait profondément. Quand il aperçut la culotte blanche Petit Bateau apparaître à l’orée du Glory-Hole, il fut rattrapé par l'image de Sigourney Weaver dans Alien, quand, à la toute fin du film, elle tente le tout pour le tout pour expulser le super prédateur du Nostromo, en se glissant dans une combinaison spatiale, laissant apparaître au passage une petite culotte trop petite pour contenir sa conche. Il ne put contraindre son pénis à retourner dans son logement, tellement il bandait , ce qu’il n’avait jamais cru possible dans l’espace.  
Martha était bien trop occupée à essayer d’entrevoir le septième continent, à bouger, à se pencher au mieux, à prendre des positions de plus en plus obscènes, dans l'espoir de connaître son étendue.

- Replay Ripley !


- Vous savez Martha ?
- Non, quoi Elon ?
 Vous n'ignorez pas que moi aussi, je suis Asperger, et de très haute lignée, croyez-moi. J’ai toujours voulu fonder une colonie de personnes exceptionnelles, jeunes, dynamiques et entreprenantes comme vous et moi, qui iraient construire un monde meilleur, très loin de cet affreux cloaque qu’est devenue la Terre. Et mon rêve le plus cher, Martha, serait de m’accoupler, ici-même, dans l’espace, avec une nénette comme vous. D’être les tout premiers humains à procréer dans le cosmos, vous voyez ?   
- Mais non, je ne vois rien justement !
- Vous réalisez ? 53 ans après le premier homme ayant marché sur la Lune: Nous deux, coïtant pour le futur de l'espèce humaine : "Un petit coup pour l’homme, mais un grand coup pour l’humanité". Hem, hem, oui, c'est de moi.
- Mais c’est pas possible ! Ya une grosse dépression en plein sur le pacifique Nord ; on y voit que dalle ! Faites quelque chose Elon, putain !  
Musk s’était rapproché du Glory Hole de Martha, et il avait sa lune en pleine ligne de mire. Son sexe était  raide et prêt comme jamais il ne l’avait été sur la Terre. 
- Ne vous énervez-pas, jeune fille, je vais vous régler l’azimut. 
Elle s’était déployée comme un criquet, au premier contact du chibre de Musk contre son intimité. Martha lui faisait face à présent - elle regarda très longtemps Musk, sans ciller, avec ce dégoût qui remontait à l’enfance, à l'époque où elle allait recracher sa nourriture pour l’enterrer dans le jardin. Sans rien dire, elle leva la main gauche très haut, avec une moue rageuse, et lui décocha une tarte en pleine gueule. Et Musk fut projeter au plafond, violement, rompant dans le choc, une conduite d’hélium liquide, qui l'éclaboussa et altéra sa voix, la transformant en une voix de fausset.
- Mais vous êtes complètement cinglée !

Il avait dû te supplier de ne rien dire, de pas faire d'esclandre auprès des convives, et pendant que le maître d'hôtel te demandait si tu prendrais le chapon ou bien le turbot, tu avais repris ta place au-dessus du hublot magique, laissant échapper une grosse larme qui s'était répandue sur l'île d'Hokkaido. Tu ne seras sûrement pas la première astronaute à copuler dans le cosmos, Martha Lindkquist, mais tu seras à tout jamais la première femme de l’histoire de la conquête spatiale à avoir connu ce sentiment d'humiliation, ce court-circuitage qui se prolongeait déjà depuis l’infini, en écho à la plus lointaine vibration d'une naine blanche.

Jouez-moi SVP






Musique : Britten, Institut








A SUIVRE 




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