Livre gitan – 4 – Anvers ou « François Bon passe par Anvers la gitane »
L’écrivain François Bon, dans son « Tiers livre.point net », propose son douzième atelier d’écriture à partir du livre « Anvers » de Bolano.
https://www.youtube.com/watch?v=0V2v-j9XNug François
Bon
Pour François Bon la détermination première est justement que l’auteur « n’est jamais allé à Anvers, les 56 récits qu’il construit, et ont comme point commun de se dérouler à Anvers, n’ont d’autre source, et d’autre référent, que leur nature littéraire elle-même... ». Les histoires et descriptions rapides fusent sans rapport les unes aux autres. L’unité que tout lecteur désire retenir de cette visite à l’auteur même ne peut se rattacher à une catégorie de lieu, à une catégorie d’existence. C’est un poème en prose de 56 strophes de longueur inégale.
A Anvers, Antwerpen
De ce petit livre, son traducteur Robert Amutio indique dans son introduction (titre 128, « Titres » chez Bourgois, 2002) qu’il est « le texte plus fou de Roberto Bolano, le plus complexe se ramifiant souterrainement jusque dans les derniers textes ». L’acte absolu de liberté d’écriture ne cherche aucun alibi si ce n’est celui de la réalité de l’artiste. La ramification souterraine renverra pour partie à des textes ultérieurs. Sûrement aussi pour cette raison là Bolano est-il mort trop tôt.
Le traducteur Amutio a dû se poser beaucoup de questions sur cette écriture « anarchiste ». (Je ne sais d’ailleurs pas si François Bon a lu cette introduction, mais après tout, il n’est pas dans l’exégèse de l’écriture de Bolano, il tend ce réseau de 56 strophes à tout apprenti écrivain. Bon courage, les apprentis.) Et c’est quoi cette écriture anarchiste, ce coup de sang gitan avec un crayon ? « Ecrivant Anvers, Bolano parvient à une limite de l’écriture telle qu’il la pense et la pratique : ses 56 divisions ne cessent pas de poser le problème du commencement, de la contigüité (les fragments semblent commencer un récit, ou poursuivre un récit commencé ailleurs), de la cohérence, du réalisme (certaines des scènes les plus réalistes, les scènes pornographiques, sont aussi celles qui paraissent provenir d’hallucinations, d’une perception hallucinée de la réalité). La fragmentation extrême, l’impossibilité d’avoir une vision totale du sujet du livre correspondent à l’exténuation du narrateur, à un moment où le sens n’est pas encore, ou plus, sa propre nostalgie, nostalgie et désenchantement qui sont le vade-mecum du anti-héros de la modernité ».
On ne sait jamais ce que ce désenchantement peut produire, ni quelle errance il peut entrainer. Désenchantement peut-être, errance aussi, peuvent produire un enchantement. C’est à ce titre que l’on peut créer le mythe gitan, le mythe de l’artiste et toutes sortes de figures qui doivent amener à la fulgurance. Fulgurance de quoi ? Bolano, 22 ans après l’écriture de « Anvers », le fait éditer en précisant bien en filigramme que c’est sa nouvelle notoriété qui le lui permet car « on m’aurait fermé la porte au nez ou j’en aurais perdu une copie ».
La strophe 49 porte le titre « Anvers », Anvers qu’on attend depuis le début. Dans un dialogue tronqué un homme semble expliquer à sa chérie qu’un type est mort dans sa voiture écrasée par un camion transportant des porcs. Bien entendu une grande parie des cochons meurent aussi dans l’accident. Cela se passe à Anvers mais on ne sait plus si cela ne se passe pas plutôt en Catalogne. Les cochons survivants fuient comme ils le peuvent en hurlant. La strophe se termine ainsi : « Elle dit qu’elle voulait rester seule… Moi aussi j’ai voulu rester seul. A Anvers ou à Barcelone. La lune. Des animaux qui fuient. Accident sur la route. La peur. »
Antwerpen - Containairs
Je me demande si ce livre gitan ne ressemble pas un peu à la métaphore de Salman Rushdie que l’on trouve dans « Haroun et la mer des histoires » lorsqu’il explique à ses enfants cette navigation très spéciale : la liberté de raconter des histoires et le conseil de ne pas assécher la source. Les histoires semblent préexister et le travail de l’artiste est de les traduire encore et encore. Et il me revient que François Bon a cette intrépide consigne pour ses apprentis écrivains quant à l’utilité de leur littérature : « … votre littérature qui remplace le monde ». Tous les chemins mènent à Anvers.
"Votre littérature qui remplace le monde" !