vendredi 27 août 2021

 

Le livre gitan -1 - La chance d'un livre

« Je crois que tout homme est la chance d’un livre » m’avait confié Patrick Laupin. Pour qu’un livre ait sa chance, des hommes articulent des signes. Et pour Bolano cette chance est entière dans ce point extrême de cumul des temps, le temps de la liberté et le temps de la pauvreté, ces temps dont on peut faire un drapeau. On ne pourra jamais dessiner, peindre, coudre ce drapeau qu’il appelle « Le livre des gitans » mais le poète s’attache à repérer les signes du drapeau partout où il se plante, partout où il est planté pour faire vivre. Comment ? Avec l’attention et la simplicité qui sont des respirations, nos respirations.

Le livre gitan est un mythe. Les mythes, contrairement à une idée reçue, peuvent mourir. Mourir d’ennui. Si, à l’inverse, le livre gitan est le mythe du mythe qui ne peut pas mourir, la mythologie qui entoure les Gitans, les Roms et Romanichels, les Manouches, les Yeniches, les Tsiganes et toutes dénominations plus ou moins historiquement fondées à propos de populations nomades en France, cette suite d’approximations disant une histoire de migrations (pour partie) de peurs (pour beaucoup) et d'extermination ( engagée par les nazis au même titre que la Shoah) nous parle, oui.

Je commencerai par la fin, en citant ce qui me semble la trace la plus récente (avril 2021) d'une écriture à propos des « gens du voyage », barbarisme ou novlangue forgée par l'état français pour son écriture législative. Je me réfère ici au livre de William Acker (éditions du commun) : « Où sont les gens du voyage ? », sous titré « Inventaire critique des aires d'accueil ». 

 Où sont les « gens du voyage » ?

L'éditeur présente ainsi le travail  de William Acker, auteur : « Ce n'est pas un hasard si les plus proches riverains de l'usine Lubrizol partie en fumée toxique fin Septembre 2019 à Rouen, étaient les habitants-es de l'aire d'accueil des « gens du voyage » du Petit-Quevilly. Partout en France, les lieux « d’accueil » attribués aux personnes relevant de cette dénomination administrative se trouvent à l’extérieur des villes, loin de tout service, ou dans des zones industrielles à proximité de diverses sources de nuisances. Constatant l’absence de chiffres opposables aux pouvoirs publics sur l’isolement de ces zones et leur rôle dans les inégalités environnementales, William Acker a décidé de les recenser, département par département.La première partie de cet ouvrage analyse le contexte historique, sociologique et politique de ces communautés et du rapport que l’État entretient avec elles. La seconde partie est l’inventaire exhaustif et cartographié des aires d’accueil. Cet inventaire s’appuie sur des critères précis et factuels comme la distance et la durée de trajet de la mairie à l’aire, la proximité immédiate de zones habitables ou de zones à risque sanitaire ou écologique (centrale nucléaire, déchèterie, usine, station d’épuration, etc.). C’est un travail inédit qui permet de mettre en lumière, d’une part, l’antitsiganisme diffus dans toutes les strates de notre société et, d’autre part, l’encampement moderne de toute une partie de la population invisibilisée de l’espace et du débat publics. Les « gens du voyage » sont en première ligne d’un des grands enjeux de lutte du XXIe siècle : le racisme environnemental. »

 

  Aire d'accueil du Petit Quevilly, polluée  par l'incendie de l'usine Lubrizol (site Seveso)

Dix neuf pour cent seulement des aires d'accueil répertoriées en France métropolitaine, soit 257 sur un total de 1358, « ne subissent ni atteintes environnementales visibles du ciel ni effets de relégation par rapport aux zones d'habitation". La moitié des aires répertoriées sont des aires polluées et 40 d'entre elles se trouvent, à l'instar de celle du Petit Quevilly "coincée entre deux sites Seveso ". Le livre est téléchargeable   https://www.editionsducommun.org/collections/all/products/ou-sont-les-gens-du-voyage-william-acker.

Toutes les vues photographiques, précisément repérées par des données GPS, sont des vues aériennes. Or, la toile "Usine Baxter" de Nunky Bartt /Jean Claude Pardou se présente elle aussi sur ce mode. On y distingue des véhicules  et de manière prémonitoire on peut y distinguer une aire d'accueil. Cela s'est réalisé effectivement, de manière éphémère sur une quinzaine de jours en Aout 2021. 

 "Usine Baxter" - détail - vue complète//nunkie à https:bartt.wordpress.com/baxter/#jp-carousel-1407