vendredi 4 février 2022

RADIO BAXTER # 4



"ALL IS LOVE "          ROGER GLOVER      1974


1


- Oreilles de choux ! Viens voir, vite, y a la grenouille qui chante à la télé ! 
- T’es sûr Bouboule ? La grenouille qui joue de la guitare ? 
- C’est pas une guitare Dumbo, c’est un bouzouki irlandais – C’est Papa qui l’a dit !
- Mais c’est déjà fini Déclic ?
- Non, « interruption de programme » - mais y zont dit que ça venait de chez eux ! 
- T’aurais pu le dire plus tôt, gros lard !
- J’arrête pas de t’appeler depuis t’à l’heure Dumbo, qu’est-ce que tu foutais ?
- Je chiais, là ! Met plus fort Boub, s’te plait !
- Reusement que Papa est parti boire un coup, il aime pas ça quand ça gueule fort les chansons. Ritchie, lui y dit que, quand y gueulent, c’est du hadock 
- Du hard rock Bouboule ! C’est vrai que Papa, il aime pas ça le rock, mais il aime bien ce dessin nimé-là!
- On dit pas dessin nimé, oreilles de choux, mais dessin A-nimé. C’est Papa qui nous l’a dit.
- Oh ! Va chier avec Papa…




      Ca pouvait arriver à n’importe quel moment, au hasard des trous noirs des chaînes de télévision, or, comme il n’y avait que deux chaînes, ça arrivait très souvent, surtout sur la deuxième, celle que Pierrick et moi regardions le plus, celle où était concentrée la plupart des meilleurs programmes pour la jeunesse. Dès qu’il y avait une interruption des émissions, pour une raison ou pour une autre, paf !, la grenouille et Roger Glover jouaient  les pompiers de service. Elle meublait un temps défini, le temps de rétablir l’antenne, dans ce décor de terre meuble, avec les vers, les rongeurs, les taupes, les insectes, etc…Ce petit court métrage animé apparaissait comme par enchantement et disparaissait de même, sans qu’on sache quand il nous reviendrait. Il était aussi insaisissable que l’animal mystérieux de Déclic, qui traversait le décor en renversant tout sur son passage, au grand dam des artistes de l’émission; une queue de martre, ou de zibeline, défilant et sifflant au rythmes de ses apparitions intempestives, en poussant des « ziziziziziiouououou ! ». Ce n’était pas l’attente qui nous excitait alors, car personne n’aurait pu prévoir la prochaine panne, même pas Pinkie Pou, le magicien oriental, qui se projetait  uniquement par pixilation; non, quand le clip de la chanson de Roger Glover était passé, on y pensait plus.

     


Il était impossible de la revoir par un autre biais que celui que nous proposait Antenne 2, soit un interlude, une virgule musicale compensatoire, pour faire patienter le téléspectateur fébrile, un dédommagement en quelque sorte, mais un dédommagement de qualité qui assurait la fidélité indéfectible du spectateur en l’encourageant à poursuivre sur la deuxième chaîne grâce à la magie que produisait ce film de Tony Klinger, d’après des dessins d’Alan Aldridge. Un nouveau dérangement sur la chaîne et nous étions à nouveau projetés dans un temps relatif, nous soumettant à une concentration extrême, le but étant de retrouver exactement la même masse d’émotions que celle que nous avions pu ressentir auparavant, et pour ne jamais nous sentir lésés, frustrés par cette altération des images, tant crainte, nous unissions nos forces pour être sûr, qu’enfin, nous fabriquions exactement les mêmes souvenirs. Nous fredonnions le refrain « Aulizlove », en balançant nos jambes sur des chaises beaucoup trop hautes pour nous et on avait peur ; peur de toutes ces bestioles, ces batraciens qui grouillaient sur tous les plans, en particulier ce gros crapaud, plutôt ce caméléon obèse qui déroulait une langue visqueuse afin d’avaler, par trois, les fruits succulents d’une corbeille qu’on aurait dit une composition d’Arcimboldo, et bien que nous connaissions ce clip par cœur, nous espérions, en secret, que la mémoire de la télévision nous jouât des tours, car notre imagination nous jouait des tours, des tours de vache, en réactivant une peur enfantine qui n’avait plus lieu d’être, car nous avions peur en effet que cette masse immonde n’avale à son tour le pauvre criquet-larbin qui s’était chargé de présenter cette corne d’abondance aux invités du bal des papillons, lequel parachevait la grande fêtes des sauterelles. 



2


Arcimboldo, "la corbeille de fruits" vers 1590



- Oh, non ! Il va encore la bouffer N’no !
- Mais Boub, tu sais bien qu’è s’en sort à chaque fois la sauterelle !
- Ça fout quand même les chocottes, moi j’dis. T’as pas de cœur, toi !
- Ah !, elle est crade cette bestiole ! Regarde ça Boub, ah, ces vers dégoulinants, j’vais en faire des cauchemars
- T’as raison N’no, c’est vraiment dégoutant. Ah !, pis y les compte en plus, on dirait la tante Cécile qui vérifie sa monnaie quand è’veut nous donner une pièce, berk !
- Y en a combien des vers ? J’eum' demande si y en a pas plus que l’aute fois qu’on l’a vu------Eh ! là, c’est quoi ça, Bouboule ?
- Ché pas ! On dirait un cancrelat qui joue du violon-------
- Non, non, derrière, çui qui joue du piano, c’est pas un pince-oreille ?
- N’importe quoi Dumbo ! J’crois qu’ Papa avait dit que c’était un myriapode---------
- Il a dit ça Papa ?
- Bah ouais, t’as qu’à l'écouter quand y parle------
- Comment tu peux retenir tout ça Bouboule, t’as que six ans !
- Parce que Papa y crois savoir plein d’choses et que j’aime bien quand y sort sa science ; ça l’rend heureux d’nous apprendre des trucs, que soit disant, on apprendra jamais à l’école.
- T’es vraiment l’premier de ta classe Boub, vraiment ? 
- Ouais, et de loin N’no, pourquoi tu m’demandes ça ?
- t’as déjà vu ça toi une grenouille qui joue du bouzouk ?
- C’est pas n’importe quelle grenouille Dumbo, c’est la grenouille qui sauve la deuxième chaine !



On parlait de la grenouille-des interruptions-de-programmes avec les copains, avec les très rares qui l’avaient vue, et ceux qui savaient en parler appartenaient au cercle très fermé de ceux qui connaissaient " Aulizlove" Puis un jour, un CM2, dans la cour d’école, prétendit que la voix qui chantait dans le dessin animé était celle d'un certain Roger Grover ou Glover, ou quelque chose comme ça; que Roger était le chanteur qui préférait se cacher derrière une grenouille pour interpréter « Aulizlove ». Alors que la diffusion du clip se faisait de plus en plus rare (les ingénieurs de l’audiovisuel commençant à régler sérieusement la mire), ce fut bien plus tard au collège, qu’un garçon de ma classe, du nom de Jean-Eudes Solignac Lecomte, fada de hard rock, tout comme son grand frère Jean-Bernard, nous révéla le pot aux roses : Ce n’était  pas Roger Glover qui chantait dans le groupe « Roger Glover and guest », mais un certain Ronnie James Dio. Roger la grenouille, c’était lui ; Glover étant bassiste et l’auteur-  compositeur de « All is love », autant dire qu’il était le véritable cerveau du groupe. Les Solignac affirmèrent également que le cerveau de notre cher Roger la grenouille avait été  dérangé, c'est à dire, qu’il avait été salement écarté de la formation du groupe de légende et précurseur du heavy metal, j'ai nommé : Deep Purple, par un guitariste jaloux, Richee Blackmore. Jean-Eudes Solignac Lecomte s’était insurgé devant ce qui préfigurait à l'époque une injustice flagrante :
- Putain, tu te rends compte, c’est quand même Roger Glover qu' a eu l’idée de « Smoke on the Water ! » merde !
et son frère d’abonder,
- Putain ouais, t'as raison c’était lui le véritable génie de Deep Purple. Blackmore n’a pas supporté que Glover lui fasse de l’ombre au sein du groupe, bordel, le gros connard!...

Ronnie James Dio 


Le disque avait été pressé chez CARRERE , mais je me souviens très exactement que notre oncle Michel, qui faisait rentrer à peu près tout ce qui tournait à la maison, avait acheté cette version enregistré sous le label SAFARI, avec cette précision judicieuse que c'était bien la voix de Ronnie James Dio qui était mise à l'honneur au recto du 45 T; un détail qui aurait dû quand même, si nous avions été les frères Solignac, nous mettre le criquet à l'esgourde.




 

Tout cela était un peu confus. Sans doute, qu'à cette époque, les voies de l’histoire du rock m’étaient impénétrables. Le soir, en rentrant du collège, je résumais à Bouboule les propos obscurs tenus par les deux frères Solignac ; Glover n’’était pas Roger la grenouille comme nous l’avions toujours cru, mais un pauvre bassiste solitaire qui s’était fait lourdé de son groupe par un pirate du nom de Blackmore, et que, sans se morfondre pour autant, ni tenté de se  venger, il avait composé cette chanson qui allait faire le tour du monde : « All is love », et que Blackmore le pirate, en apprenant son succès phénoménal, qui réduisait son influence sur la scène rock à une peau de chagrin, avait eu l’idée géniale de s’immoler par le feu sur le toit du casino de Montreux, d’où la fameuse fumée sur l’eau du lac dans le tube planétaire "Smoke on the water". Bouboule était resté incrédule, en disant « qu’il n’y avait pas plus de fumée que de beurre en branche (expression de Papa) et que de toutes manières, il avait, lui, trouvé sa voie quand il écoutait la station NRJ et son disque jockey vedette, Greg Barbot, qui diffusait tous les soirs des chansons commerciales, cool et funky ; le Boub se servait d'un petit calepin dans lequel il faisait les classements des meilleurs chansons qu’il notait sur 20 au fil de ses écoutes; ainsi j’appris  que Jean-Jacques Goldman venait d’obtenir 15 sur 20 avec sa chanson « Comme toi », alors que Fine youngs canibals avait cassé la barraque avec « She drives me crasy » en obtenant pas moins de 19, 5 sur vingt ce qui, malgré tout, indiquait que le cas de Bouboule n'était pas compleee------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Une erreur du serveur (NAT n°xr080076bCoucoubazard 0317H) vient de se produire, paralysant le logiciel blog spot et entraînant par conséquent l’interruption de ce radio Baxter #4
Nous vous prions de nous en excuser. Nous vous proposons, en attendant de rétablir le serveur, un programme pour la jeunesse