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mardi 11 août 2020

Itinéraire pour Cesarea (4 / 19 et demi)

Ma vie dans les tuyaux de survie 

4             En cette étape nous levons nos regards vers les ciels du monde. Bolaño, le créateur de l’infraréalisme  ne vient pas de nulle part  et il se reconnait une  dette envers les  surréalistes. Dans le recueil, la poésie précédente évoque d’ailleurs  la fuite de Breton et d’autres artistes  pour tenter d’échapper au régime de Vichy. Mais tous n’y sont pas arrivés et certains sont morts. Un poète mineur aurait disparu en  « un rapt perpétré par des extraterrestres ».  Le ciel est brouillé. La réalité portée vers le  « sur » devient portée à « l’infra » chez Bolaño.  Les ciels du monde surplombent sombrement  les « joueurs aveugles au bord de l’abîme ».

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"Le manteau de loutre de la planète"

Madrid- juin 2018 - collection  particulière

 

Ma vie dans les tuyaux de survie

 

Comme j’étais  un pygmée, jaune et aux traits agréables

Et comme j’étais intelligent et pas disposé à être torturé

Dans un camp de travail ou dans une cellule capitonnée

On m’a mis dans cette soucoupe volante

Et on m’a dit vole et trouve ta destination, mais quelle

Destination pouvais-je trouver ? Ce maudit vaisseau semblait

Etre le Hollandais Volant sur les ciels du monde, comme s’il

Avait voulu fuir mon handicap, mon singulier

Squelette : un crachat au visage de la Religion,

Un coup de hache de soie dans le dos du Bonheur,

Soutien de la Morale et de l’Ethique, la fuite en

Avant de mes frères bourreaux et de mes frères inconnus.

Tous finalement humains et curieux, tous orphelins et

Joueurs aveugles au bord de l’abîme. Mais tout cela

Dans la soucoupe volante ne pouvait que m’être indifférent.

Ou lointain. Ou secondaire. La plus grande vertu de mon espèce traîtresse

Est le courage, peut-être la seule vraie vertu, palpable jusqu’aux larmes

Et aux adieux. Et du courage c’était ce que j’exigeais enfermé

 Dans la soucoupe, étonnant les laboureurs et les ivrognes

Couchés dans les canaux d’irrigation. Du courage, voilà ce que                                                

j’invoquais tandis que le maudit vaisseau

 Scintillait à travers ghettos et parcs qui pour un promeneur

Seraient immenses, mais pour moi n’étaient que tatouages dénués de sens,

Paroles magnétiques et indéchiffrables, à peine un geste

Insinué sous le manteau de loutre de la planète.

Serait-ce que je m’étais changé en Stefan Zweig et que je voyais

Venir mon suicidé ? A ce propos, la froideur du vaisseau

Etait incontestable, pourtant parfois je rêvais

D’un pays chaud et d’un amour fidèle et désespéré.

Les larmes que je versais ensuite restaient à la surface

De la soucoupe des jours durant, témoignage non de ma douleur

                Mais d’une sorte de poésie exaltée qui de plus en plus souvent

Me serrait le cœur, les tempes et les hanches. Une terrasse,

Un pays chaud et un amour aux grands yeux fidèles

Avançant lentement à travers mon rêve, tandis que le vaisseau

Laissait des sillages de feu dans l’ignorance de mes frères

Et dans leur innocence. Et la soucoupe et moi étions une boule de feu

Dans les rétines des pauvres paysans, une image périssable

Qui n’en dirait jamais assez sur mon désir

Ni sur le mystère qui était le commencement et la fin

De cet incompréhensible engin.  Ainsi jusqu’à la

Conclusion de nos jours, soumis au caprice des vents,

Rêvant parfois que la soucoupe s’écrasait   contre une cordillère

D’Amérique et que mon cadavre presque sans tache surgissait

Pour s’offrir aux yeux des vieux montagnards et d’historiens :

Un œuf dans un nid de fers tordus. Rêvant

Que la soucoupe et moi avions terminé la danse péripatéticienne,

Notre pauvre critique de la Réalité, dans une collision indolore

Et anonyme de l’un des déserts de la planète. Mort

 Qui ne m’apportait pas le repos, car même corrompue ma chair

Rêvait encore.

 

                Cela se termine comme du Maurice Rollinat, parole de pygmée.