Dans
le village qui a vu naître Nunki Bartt en artiste, eu lieu, au jusant du siècle
dernier, un procès retentissant, ourdi et présidé par le maire, qui
opposa l’ensemble des villageois à un vieux coq. On le disait sénile, bon pour
la casserole, lui reprochant d’avoir perdu le contrôle des heures, pourtant ancré dans sa nature de coq de basse-cour, et de chanter à n’importe quelle
heure du jour et de la nuit, empêchant ainsi la populace de réfléchir ou de
fermer l’œil. L’empressement des détracteurs à calomnier est imparable, mais la
fureur émolliente qui pousse les thuriféraires à aboyer avec les loups reste un
mystère à ce jour. Ainsi, on baptisa l’oiseau au sol du nom
de « cacochycoq », plus à cause de ses cocoricocouacs
intempestifs, que de son âge vénérable. Bref, le coq était sur la sellette, et
il risquait fort de finir dans la vinasse, si un chevesne, à peine adulte, tout
fraîchement sorti de la rivière, n’eut pris sa défense. Devant le premier
magistrat médusé, il se désigna lui-même avocat d’office, en
interprétant au plus juste toutes les paroles de l’accusé. C’est alors qu’on
comprit, grâce à la traduction psalmodiée du jeune chevesne fraîchement pêché,
que le dérèglement du chant du vieux coq était en vérité un avertissement, une sérieuse
alerte. Pour le chevesne, il était clair que Pacha Marius, le coq du père
Tricoche, voulait les prévenir d’une catastrophe imminente, qui toucherait
bientôt, bien au-delà de ses frontières, le village tout entier, maintenant que
le mal était partout, « Urbi et orbi ». Et le coq, à l’écoute des
psalmodies du poisson argenté, versait des larmes de joie, exhortant la
populace à le croire, même si, semble-t-il, tout était déjà perdu.
C’est Tricoche lui-même
qui fut chargé d’occire son coq avec un tromblon qu’il tenait de son aïeul,
tombé pour la France, au Chemin des Dames. D’aucun n’en voulant pour son repas,
on l’enterra au lieudit « Jaumangé », à l’écart du village, plus par
superstition que pour raisons sanitaires. En langage berricon-poitevin, le jau
signifie : le coq. Ça tombe bien. Un vieux proverbe dit aussi, que « lorsque le jau est mangé, les poules sont veuves. »
Le chevesne argenté fut
relâché et rendu à la rivière. Il psalmodiait de plus belle les paroles du coq
qui ne chanterait plus. On dit que des roses lui sortaient des ouïes. La population
avait reçu l’ordre formel de pas le pêcher. C’est pourquoi, aujourd'hui encore, les fleurs en choux
prolifèrent et font la renommée du village, gagnant, chaque année, le
concours du plus beau village de notre chère nation.
Les milles et une nuits de Miguel Gomez 2015 Volume 1 : "L'inquiet" Le procès du coq ceint d'un bavoir.