dimanche 28 février 2021

La cyber diffusion baxteriène présente : Unicorn 12











Douzième épisode

 

Et Lars Faber fouilla dans sa musette, s’empara d’un autre calepin, plus petit que le carnet d’observation, prit un crayon, et écrivit le poème qui lui était venu pendant la danse :

La licorne sans cigarette

Quelqu’un est venu prendre mes cigarettes
dès que  j’ai eu le dos tourné
et je crois savoir que c’est toi,
toi qui as profité que nous étions là-haut,
tous les trois, dans les arbres, fous de croire que nous pouvions te surprendre,
fantôme Transgénérationnel, toi qui a subtilisé (il ne me vient pas d’autres mot),
mon paquet neuf de « mélange spécial » sans laisser aucune trace, 
ni faire aucun dégât, comme ne l’aurait pas fait le premier sanglier venu.
Il me vient subitement une question : « Sont-ce ces petits cylindres ocrés et blancs 
dans leur paquet, si bien rangés, qui t’ont menée jusqu’à nous ? »
Et maintenant que je n’ai plus qu’à rêver que je fume dans le bois d’Itar 
ce tabac d’Ontario et de Virginie, prisonnier de mes promesses,  
Je me demande de quel désir profond voulais- tu vraiment me priver, Unicorn po…

                                                                      

                                                                 

Mais le poète n’eut pas le temps d’achever le poème. Papiak avait bondi de son poste d’observation. On n’aurait pas su dire si c’était le dresseur qui était descendu de l’arbre, ou si c’était l’arbre qui était descendu du dresseur. Il marcha tout droit vers Faber. « - Qu’est-ce qui vous prend Medved ? On jurerait que vous avez vu un fantôme ! Il répondit juste : - Oui, Je viens de voir Sally ! » Faber lui demanda qui était Sally, et l’autre haussa les épaules, consterné, car il ne faisait aucun doute que tout le monde connaissait Sally, à part Faber ! Jasmine vint au secours du poète : « C’est l’otarie prodigieuse du cirque Papiak », et Faber demanda au dompteur comment il pouvait être si sûr qu’il s’agissait bien de son otarie Sally. Alors, prenant son visage à deux mains, Papiak éclata : « Parce qu’elle jongle encore avec le ballon aux couleurs de la Pologne, que je lui ai offert l’été dernier, Herr Doktor ! » Sans coup férir, Il shoota dans le carnet de poésie de Faber et l’envoya valser dans les boulettes de riz. Le poète alla calmement le ramasser, mais visiblement, le dresseur Papiak ne s’appartenait plus, et il prenait une direction, hors de la zone d’évitement, droit vers le giron d’Unicorn, sans même recourir au vecteur de la danse. Il hurlait : «  Tu as eu Horace et Primoz, chlapa ! Tu n’auras pas Sally ! Tu m’entends shreklisches Tier ! – Dansez au moins, Medved, dansez, criait Jasmine » Faber lui exhortait de revenir en arrière, et en cette matière, le break danse était la mieux appropriée. « - Moonwalkez, Medved,  par tous les saints ! » Papiak s’était mis à courir et Faber, sans s’en poser, prit lui aussi ses jambes à son coup et agita les bras comme pour s’envoler. Il fit des bonds dignes d’un triple sauteur. Dans ces conditions, il fut presqu’à hauteur du dresseur, mais essoufflé, il comprit très vite qu’il ne pourrait jamais le rejoindre, car ses mouvements étaient frappés par le bégaiement comme l’exigeait sa danse improvisée. Papiak, sans doute galvanisé par sa haine contre Unicorn, était bien trop rapide. Faber se déploya alors tel un jaguar, avec un saut de l’ange qui nous régala. Et, comme il tombait à terre près de la cheville gauche du direktor, il lui fit ce qu’on enseigne dans toutes les écoles de rugby, comme étant le dernier rempart contre la percée adverse, quand tout semble perdu, cet ultime geste de défense, presque primitif, « une cuillère », qui se montra très efficace, car Papiak alla s’écraser la face, les deux bras brandis devant, dans une forêt d’amanites tue-mouches, mais il se releva, encore plus furieux, et déroulant son fouet redoutable, il le fit claquer au nez et aux oreilles de Faber.
- Dites, vous battez la breloque, mon vieux !
- Langsam, mein Herr, sachte ! 
- Ja, Ja ! Allons sous la charmille où l’églantier fleurit.
- Stillbleiben !
Papiak fit claquer son fouet derechef, ce qui provoqua une trouée spectaculaire dans le nid de feuilles à ses pieds. C’est alors que Faber s’en saisit, l’enchaîna à lui en le tressant autour du bras, et le dompteur se trouva irrésistiblement entraîné vers Lars, lequel, lorsque le vieux parvint à sa portée, lui décocha une bonne droite de Welter, juste à la base du menton, le renvoyant rejoindre le tapis d’amanites. Et le bois d’Itar, qui serait toujours trop petit, accueillit à nouveau le râle puissant de la licorne comme un messager apporterait, depuis les confins des âges, une bien triste nouvelle. 
« Mais un homme occupé à contempler le naufrage de son passé dans l’aube des nouvelles espérances ne peut avoir faim chaque fois que le riz est prêt. » 







IV

Parade sauvage



Elle drabbdullait ! A vous en éclater les tympans. Et dans ce cri circulaient les harmonies secrètes du monde animal, depuis que la limule avait  répandu le sang bleu. Faber disait que les hurlements venaient de devant, du Sud. Jasmine disait le contraire, que l’appel venait de derrière, du Nord, et que la licorne les prenait à revers. Le direktor, lui ne disait rien, il accusait le coup et récupérait sur la natte de Jasmine. Elle avait pris sa place sur la branche maîtresse du chêne tortueux. La longue silhouette noire, luisante, odorante, juchée là-haut dans le feuillage roux inventait une nouvelle espèce d’oiseau exotique. Par acquis de conscience, le premier oiseau qui vint à l’esprit de Faber fut le marabout d’Afrique. 
- Tenez Medved, votre fouet, vous l’aviez oublié.
- Oh ! ma mâchoire. Je dois avouer Lars, que vous avez une sacrée droite.
- Je me défends. Mais la prochaine fois qu’il vous prendrait l’envie de dompter un animal, apprivoisez-le ! Parfois, le recourt au fouet est inutile.
- Vous êtes pourtant de la race des lions Faber, des lions solitaires, de loin la plus dangereuse ! 






A SUIVRE…




lundi 22 février 2021

La cyber diffusion baxteriène présente : Unicorn 11

 

      


     


 

                                                        Onzième épisode

                                                  

« Aussitôt que l’Homme a porté la hache sacrilège ou la torche guerrière dans les forêts, il a commencé par altérer la chaleur et la fécondité de la terre. En diminuant le domaine des animaux , par conséquent leur nourriture et leur nombre, en détruisant des végétaux dans lesquels circulait sans cesse le feu de la vie, en découvrant la terre qui devait ainsi perdre ses particules, l’Homme insensible dans ses destructions, est loin de songer qu’autant de fois qu’il mutile la nature, autant de fois il commet un crime envers sa postérité, dont il diminue les moyens de sa subsistance. » 

-   Lars, Jasmine, venez voir ça, szybko ! 

Jasmine enfourcha la corde et avala les nœuds avec l’avidité d’un pompier volontaire. Faber lui, eut un mal de chien à grimper. Le direktor montrait déjà du doigt, l’objet de son trouble. Il tremblait. Faber  fit enfin son apparition sur la branche, fin cuit. Le gîte d’Unicorn était là-bas, à un jet de pierre. La petite « hutte » pyramidale que Chuca avait représentée sur son dessin, au beau milieu des arbres parmi les nombreux arbres, se dressait juste à l’orée de la clairière. Le direktor Papiak n’avait eu aucun mal à l’identifier : « - Dites-donc Lars, la Chuca, elle se défend pas mal en fin de compte, c’est très ressemblant ! » Mais la créature restait invisible. Seules quelques bêtes, aux alentours, paissaient, d’autres se désaltéraient au bord d’un étang, qui était peut-être  un lac, ou s’étaient couchées dans les fougères, autour de la  hutte. « - Il est temps de monter le tipi de Kiki, les amis. - Puis-je vous aider Lars ? Mais certainement Jasmine, vous allez voir, c’est un jeu d’enfants. -  Vous venez Medved ? » Mais le dompteur, peu enclin à monter la canadienne, (comme il appelait le tipi), préféra rester perché sur sa branche maîtresse car il fallait bien que quelqu’un se charge de faire le guet, au cas où la créature viendrait à apparaître (c’est enfin ce qu’il prétextait pour rester là-haut).
(…)

- Bienvenue chez Kiki l’indien, Jasmine !

- Oh ! Lars, c’est remarquable ! Vous êtes un artiste complet, au fond ; Vous avez réussi à recréer une symétrie parfaite avec ce que nous voyons en face de nous, comme dans un prisme. C’est du land art combiné à de l’architecture nomade. Vous êtes le nouveau Robert Smithson, Lars Faber!              





Comme le direktor voulait tempérer leur enthousiasme et notamment, celui de la danseuse,  il demanda quelques explications au sujet du tipi (parce qu’il avait très bien compris que jamais ils ne tiendraient à trois là-dedans), et le poète dût faire toute la lumière sur la fonction symbolique du tipi de Kiki l’indien, et leur révéler la véritable destination de son installation. Il fut question d’un graphique expliquant les comportements des individus entre eux, appelés proxémie, par un certain Edward T Hall, un anthropologue américain, il fut question de son ouvrage de référence : « La dimension cachée », ainsi que de son étendue au comportement des animaux, dont, le chien, et les risques encourus à pénétrer au-delà d’une sphère personnelle. Il fut surtout question de cortex reptilien, de réflexe de défense chez l’animal et de la fameuse zone critique.

- Parce que vous avez peur de vous faire mordre, Lars ?

- Vous ironisez Medved, mais vous devez savoir que tout animal qui se sent en danger peut se retourner contre celui qui l’accule, le charger et le tuer. Après tout c’est vous le dompteur, non ?

- Nie ma problem ! Si vous croyez que je vais me laisser intimider par cette créature. En cas d’attaque, elle gouttera à ça !

Faber vit que le dresseur leur montrait le fouet enroulé autour de sa cuisse, ce fouet légendaire dont jamais il ne se séparait. Quelque chose avait sensiblement changé dans le comportement du direktor, et Faber voulut une fois encore détendre l’atmosphère. Mais cette fois, il ne pouvait plus compter sur un bon cocktail. «- Et si jamais je la vois avant vous Medved, pour la tenir en respect, en quelle langue dois-je m’adresser à cette bestiole ? Et le direktor Papiak avait répondu d’une voix blanche  - Dans la langue la plus logique et la plus implacable qui soit au monde: en allemand. - Ce qui nous prouve donc qu’elle aura des dents, cher direktor ! » 

- Vous n’avez pas fini tous les deux, carlisse ! allez Medved, descendez de votre arbre, ça va faire bientôt trois heures que vous êtes perché là-haut. J’ai préparé des boulettes aux champignons et au cury
- Encore un instant Pana Jasmine, j’aperçois quelque chose qui bouge dans les taillis…

   
A SUIVRE…

jeudi 18 février 2021

la cyber diffusion baxteriène présente : Unicorn10

                                                                          

 


Un récit d'anticipation de treize épisodes à la douzaine signé maestro & nunki bartt


Dixième épisode


Les deux autres n’avaient rien dit, tout simplement parce qu’il n’y avait rien à dire, ni rien à objecter non plus contre pareil oracle. Le direktor venait de prouver, sans être un membre imminent de la communauté scientifique, qu’il faisait preuve d’un sens aigu de la logique, à moins qu’il ne s’agisse d’une pure intuition, ou tout simplement parce que Papiak, grand homme de cirque, analysait le comportement des animaux mieux que personne. 

"Et résolus nous sommes sortis de nos trous.
De nos nids tout chauds.
Et nous avons habité l’ouragan.
Tous morts maintenant.
Et aussi ceux qui se sont rappelé
Un petit matin de cristal
Dans le territoire de la Chimère et du Mythe"
                                   
                                
Ils suivaient scrupuleusement les traces de l’ours clown et danseur étoile. Elles indiquaient que Primoz marchait sur ses quatre fers, sans jamais se relever, ce qui pour un plantigrade de cette trempe, était un comble. Le direktor Papiak ne reconnaissait plus son ours, et s’en attristait auprès de Jasmine. « Et s’il était malade ? » Elle avait pitié du dresseur mais elle ne voulait pas l’emmener sur la pente des apitoiements, de loin, la plus mauvaise. La raison de ce changement d’attitude chez l’ours Primoz ne pouvait provenir que de l’empire exercé par Unicorn sur tous les animaux en captivité. Ils semblaient agir comme des somnambules, convergeant sans résister, vers un même point : la tanière de la licorne. 
« En somme Panna Jasmine, Primoz a perdu le contrôle ? » Et Jasmine lui répondit qu’il n’y avait plus rien à faire, sinon tenter de le capturer, parce qu’il ne fallait plus compter sur le fait qu’il lui obéisse comme auparavant désormais, il appartenait  à la créature. Bientôt, au franchissement d’un fossé gorgé d’eau, ils découvrirent d’autres empreintes qui se mêlaient à celles de Primoz, ce qui indiquait que les bêtes allaient de conserve, puis bien d’autres encore. Primoz suivait, selon Faber et Papiak, un groupe de Bonobos en goguette. 
Ils restèrent pétrifiés quand la créature poussa son deuxième cri, encore plus sinistre que le premier : « Roooohhhiiiwahh !»
- C’est tripant Lars ! Nous ne sommes plus très loin de sa cachette. J’en ai la chair de poule.
- Taisez-vous malheureuse, vous n’allez pas vous y mettre vous aussi !
- « Roooohhhiiiwiihh !» 
- Non, mais vous entendez ça Jasmine ? C’est vraiment le cri le plus atroce que j’ai entendu de toute ma vie. C’est la honte du monde animal. Et quelle prétention dans cette montée chromatique ! Vive les tortues et les méduses, croyez-moi !, Qu’en dites-vous, comment définiriez-vous son cri?
- Ché pas ! Ça a pas de bon sens, un cri aussi ketten. Je dirais qu’elle « drabbdulle » !
- Très bien, je note : La licorne drabbdulle. Pour la postérité. 
Ils progressaient, désormais, dans une mer d’empreintes d’animaux. Plantigrades, digitigrades, onguligrades, Faber notait tout sur un carnet à spirale. Il avait pensé créer une autoroute secrète des animaux en fuite, imaginant un réseau d’échangeurs complexes où chaque espèce convergerait et se mélangerait sans conflit. Il songeait, avec un certain effroi, qu’ils étaient peut-être les seuls témoins au monde de cette nouvelle arche qui s’annonçait. Il fallait qu’elle soit une sacrée bestiole pour engendrer pareil phénomène. Il avait pris la main de Jasmine pour la rassurer, mais quand il s’aperçut que sa partenaire dansait en toute décontraction, il la lâcha, un peu déçu et ses pensées allèrent vers Chuca. Elle aussi devait être une enfant exceptionnelle pour faire des rêves si puissants, si prémonitoires ! Il était revenu sur sa curieuse physionomie, sur son apparence risible bien que touchante, ses cheveux bardanés, ses yeux insondables, ses humeurs volcaniques. Il était assailli de questions toujours plus obsédantes : « Pourquoi avait-elle fait ce dessin ? L’avait-elle fait consciemment, et pourquoi les avait-t-elle envoyés dans le bois d’Itar ? » Il tentait sérieusement, par télépathie, d’entrer en relation avec la danseuse : « Dites-le Jasmine, il faut que je le sache, Chuca contrôle-t-elle Unicorn, oui ou non ? Et il avait cru entendre Jasmine lui répondre très clairement : - Oui mon amour, et ça, depuis le début. »
                                              


Jasmine, qui avait l’oreille absolue, leur fit remarquer que tous les oiseaux des bois, à présent, chantaient en mesure, ce qui sur le plan scientifique, est une aberration. Lars leur avait confirmé que c’était le signe qu’ils étaient entrés, depuis peu, sur le territoire d’Unicorn. Le dompteur qui espérait encore retrouver Primoz, s’était proposé de grimper sur un chêne tortueux afin de prendre de la hauteur. Il fabriqua une corde à nœuds, faite de lianes tressées avec du lierre dans le but d’accéder à un poste de vigie, une branche maîtresse qu’il avait visée à quinze mètres du plancher des vaches. 

                                                                         





La danse, contrairement à la marche, est un art extrêmement perfectible, donc épuisant. A l’unanimité, ils décidèrent de souffler et de reprendre des forces. D’ailleurs, Jasmine sentait que les garçons se relâchaient, qu’ils dansaient avec beaucoup moins d’enthousiasme qu’au début. Elle avait trouvé la dernière tarentelle lamentable.
- Lars, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
- On improvise !
On se mit au comptage des animaux. Le direktor depuis sa branche, transmettait ses informations à Faber qui n’avait plus qu’à les consigner dans son calepin, et Jasmine pour sauvegarder les données, les reportait à son tour dans son cellulaire. Le direktor prenait son rôle très au sérieux. Il s’exclamait à la vue des bêtes sauvages qu’il pouvait parfaitement observer à l’aide d’une longue vue télescopique ayant appartenue au général. Elles traversaient tranquillement une petite clairière de fougères. « - Et un panda géant, deux orangs outans, et quatre, non, cinq zèbres de Grévy, un échiné à long nez, vous notez Faber ?  
- Pas si vite Medved, je ne peux pas suivre… - Oh ! Nie pravda ! Un hippopotame pygmée ? Je n’en avais encore jamais vu ! » (…) Il y eut subitement un long silence depuis les cimes. 
«  - Oh ! La vigie ! Quoi, Medved, allez-y, j’attends ! Ne voyez-vous rien d’autre ? »


                                                    

   

 




   


A SUIVRE…

                                        








mardi 9 février 2021

La Cyber diffusion baxteriène présente : Unicorn 9


    UNICORN 9


                           

          


"Apprend moi à danser
à mouvoir mes mains dans le coton des nuages
à étirer mes jambes attrapées par tes jambes "

      
 Medved était excité comme une puce, à l’idée de danser avec son égérie. C’est comme ça qu’ils dévalèrent, ensemble, les pentes escarpées du causse, en se tenant par la main et en tournant comme des mômes en récréation. Jasmine leur montra comment, en balançant une fois sur deux la jambe d’appel, on pouvait varier le temps de la danse. Le dompteur retrouvait l’allant de sa jeunesse, alors que Lars avait l’air ailleurs. La raison de son trouble n’avait pas échappé à Jasmine qui, bien qu’elle eût préféré que Lars eût davantage la tête à la danse, ne lui en voulut pas de se préoccuper principalement des traces d’animaux. D’ailleurs, elle aussi, avait les yeux rivés au sol. Mais comment aurait-elle pu reconnaître des empreintes de licorne, elle n’en avait jamais vues ? Seulement, en son for intérieur, elle savait que dès qu’elle les verrait, elle les reconnaîtrait. La ronde se changea en un fest-noz et ils ne se tinrent plus que par le petit doigt, mais comme on n’arrivait à rien de bon avec ça, on s’arrêta au bout de cinquante ares parcourus. Et Jasmine proposa à chacun, maintenant qu’ils s’étaient bien enfoncés dans le bois d’Itar, de produire un solo de leur choix. Medved n’hésita pas une seconde, en choisissant de danser dans les pas de son maître Nijinski et de son célèbre « prélude à l’après-midi d’un faune », sur la musique de Debussy, rôle qu’il n’aurait jamais osé aborder, même du temps où il dansait au Bolchoï. Lars, dont la culture en ce domaine laissait à désirer, se lança dans un jerk tonitruant qui fit tordre de rire Jasmine, mais le poète, piqué au vif, et loin de se dégonfler, exécuta un entrechat à la Serge Lifar qui laissa littéralement les deux autres sur le cul. Elle, galvanisée par ce zèle nouveau, par cette désinvolture sublime, choisit un solo de Biped, une pièce de Merce Cunningham. Cette chorégraphie faisait l’éloge de l’angle dans tous ses états, de la première phalange de la main au dernier métatarse du pied. Ils la virent ouvrir une cuisse dans un angle droit d’une radicalité inouïe, (comme un footballeur qui s’échaufferait les adducteurs avant un match), puis observer sans transition, une rotation de 380 °, avant de s’immobiliser en cassant le poignet droit dans une inflexion archi hiératique. Medved Papiak était tout au contraire emberlificoté dans ses circonvolutions Ruscofs – il pavanait dans son est, mais en voulant effectuer une pirouette audacieuse, il trouva sur sa route un pin maritime, qui selon lui, n’avait rien à faire là. C’est dans les circonstances de cet accident de danse, qu' ils découvrirent les empreintes.                                                                     
- Qu’en dites-vous Medved ? Pour moi il ne fait aucun doute que nous sommes en présence d’un ours brun adulte et de petite taille. Un beau mâle d’au moins trois cent kilos…
- Tak ! mais je m’interroge Lars. Celui-là marche sur ses quatre pattes, sans différer, ni se relever jamais. Mon Primoz a pris l’habitude de marcher, tantôt sur quatre, tantôt sur deux pattes et surtout de sautiller, depuis qu’il danse, tantôt à gauche, tantôt à droite, à rendre fou un limier San ! Or, visiblement, cet ours-là… Non, attendez ! attendez un peu…
- Quoi Medved, qu’est-ce qui ne va pas ?
- Mon ours a subi une opération suite à un accident de cheval l’hiver dernier. Sa patte avant droite présente une anomalie depuis cette intervention. Il lui manque une griffe.
- Alors quoi, c’est votre ours oui ou non ?
- Regardez, l’empreinte, cette trainée sur le deuxième phanère, Mój Boże ! 
- Primoz, mon gros pépère d’amour !
- Nous pouvons encore arriver à temps Lars, avant qu’il n’entre en contact avec cette bête…                                                                        

Le direktor Papiak allait dire « dégueulasse », quand un râle ahurissant déchira le grand silence des futaies. Lars Faber, pétrifié, proposa de foutre le camp sur une chorégraphie de West side story (quand les Jets se débinent à l’arrivée des Sharks), quitte à perdre la face, mais plus rien désormais ne pouvait empêcher le dompteur de fauves Papiak de continuer, maintenant qu’il avait retrouvé la trace de l’ours le plus célèbre de la planète, de poursuivre Unicorn.

                                                                 



                                                                                III
                                                                           Unicorn

 

- N’avez-vous pas vu mes cigarettes Jasmine ?
- Parce que vous fumez maintenant, c’est nouveau…
- Mais je suis un poète, ma chère, pas un danseur, ni un sportif de haut niveau, et je me moque bien de la santé publique !
Ils s’étaient longtemps interrogés sur la nature du « cri » qu’ils avaient entendu. Faber avait laissé le soin à Jasmine de leur faire une proposition qui soit acceptable au regard de la science, un peu comme « on ouvre » à la pétanque en lançant la première boule en direction du cochonnet. Jasmine penchait volontiers pour un échassier, du type héron, alors que Faber lui, aurait parié sur le « Léon » du paon. A vrai dire, ce râle affreux, préhistorique, pour ne pas dire reptilien, ne pouvait appartenir au héron, puisqu’il vit essentiellement près des milieux aquatiques, et il était peu probable de trouver une héronnière dans un bois si dense, au couvert si bas, vu l’envergure des ailes d’un tel oiseau.
- … et puis le héron hue, il n’éructe pas. 
- Mais vous oubliez le dessin de Chuca, Lars ? Vous oubliez la présence, dans son rêve, d’un point d’eau, si j’ai bonne mémoire, où tous les animaux fugitifs viennent se désaltérer ?
- Non, je ne l’ai pas oublié Jasmine, j’y pense même bougrement ! Mais ce qui me conforte dans mon scepticisme, c’est que à aucun moment Chuca ne représente un grand oiseau râleur sur son dessin. C’est enmerdant…
- A moins que ce ne soit le cri de celle que nous recherchons, kurwa mać !


A SUIVRE …





jeudi 4 février 2021

la cyber diffusion baxteriène présente : Unicorn 8


     
                                                                        
   

Un récit d'anticipation de treize épisodes à la douzaine signé maestro & Nunki Bartt


            huitième épisode



La question des vivres se posa quand, à hauteur d’une sous-préfecture, le direktor Papiak boulota le dernier œuf dur. Ce carnassier redoutable acceptait, dans ces circonstances, de faire quelques repas frugaux, mais à condition que ça ne dure pas. Faber était plutôt à ranger parmi les indécis que l’on nomme flexitariens, alors que Jasmine était radicalement végan, bien qu’elle ne se séparât jamais de son précieux sac weekend en cuir blanc. Il circulait, à l’intérieur de l’estafette, une forte odeur de tannerie, qui émanait de la danseuse (sans que cela ne la gêne), et qui s’en échappait régulièrement lors d’effluves à racoler plus d’un chasseur cueilleur. N’importe qui aurait vu en Jasmine un paradoxe vivant. Elle ne portait pour tout vêtement, en accord avec ses principes, qu’une combinaison intégrale en kevlar noir étoilé, qui la gainait tout entière, et qui se terminait par des solerets intégrés. La combinaison épousait les formes aquatiques d’une nixe, avec des jambes galbées qui plongeaient vers le delta de ses fesses dans un évasement de joie. Quant à l’équilibre de ses seins, il était aussi parfait que la régularité et le rythme des fenêtres des hautes façades napolitaines. On attendait plus qu’elle y pende son linge de maison. Ils décidèrent donc, à deux voix contre une, que pour accompagner le riz quotidien, ils feraient une bonne cueillette de champignons. Ils trouvèrent, au cours d’une matinée fraîche et lumineuse, des tales de girolles, des tapis noirs de trompètes de la mort, ainsi que quelques oronges solitaires nées avec la rosée du matin. Mais, à la demande du poète, qui n’en démordait pas, les sachant à l’approche de la zone fatidique, ils boudèrent les pieds de moutons et les langues de bœufs. Jasmine ramassa même des jeunes pousses de fougères que dans son pays, on appelle « crosse de violon », ainsi que des circes, ces petits chardons que l’on dit comestibles. A ce stade du voyage, chacun avait pu estimer que l’exercice avait été profitable. Ils se détendaient, enfin, s’abandonnant au jeu des mêmes perspectives, des mêmes préoccupations quotidiennes. Lars se disait qu’il n’avait jamais passé autant de temps avec Jasmine depuis le jour où ils s’étaient croisés, pour la première fois, devant le  Bonjour Paris ! , mais le temps qu’ils avaient consacré l’un à l’autre jusqu’ici, s’apparentait davantage à une connivence de scientifiques, à une charmante complicité entre une artiste et un poète, qu’à une véritable amitié. Maintenant qu’il s’épatait sur le matelas où Jasmine s’était couchée quelques heures avant lui, et qu’il s’enivrait de cette forte odeur de musc, il en était sûr, iI ressentait cette proximité avec ses visiteurs comme une nécessité. Depuis qu’il avait quitté la rue de la Lune et Chuca, il réalisait que sa vie se ranimait sur des cendres froides sur lesquelles il ne s’était jamais donné la peine de souffler. Medved lui, ne se posait aucune question. Il voulait Unicorn, un point c’est tout. Jasmine avait dit : « si vous cherchez l’ours, trouvez la licorne ! » En attendant de la trouver, il s’occupait à des tâches purement ménagères, nettoyant soigneusement les appareils de mesure de Faber, époussetant les petits squelettes d’oiseaux ainsi que de reptiles amassés, au cours de ses différents voyages, dans des casiers de bois. Il ne rechignait pas non plus à passer un bon coup de balais, trouvant que ce bahut infect était un vrai dépotoir.


                                                          
         
Faber ne s’était pas rendu compte qu’il bandait, et par une association d’idées qui peut paraître ridicule, et tout en examinant sa verge en érection, il pensa à Unicorn, et c’est l’éthologue, cette fois, qui pensait. A quoi ressemblait-elle, finalement, cette bestiole, quelle morphologie avait-elle ? Il ne croyait pas une seconde à cette représentation idéalisée, quasi divine, niaise, du petit équidé aux formes harmonieuses, figée encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif. Jasmine était peut-être une des rares personnes à avoir « vu » une licorne aquatique : le pirassoupi. Lars réussit à trouver le sommeil et ses dernières pensées allèrent vers les régions bénies de l'enfance, le jour de ses neuf ans, en ce matin d’anniversaire, quand sa mère lui avait offert un 45 tour où était gravé un extrait des « Lettres de mon moulin », d’Alphonse Daudet. Ce conte qu’il sut très rapidement par cœur, c’était « La chèvre de M Seguin », dit par Fernandel. Et tout en se remémorant le disque de son enfance, il comprit que lui aussi, lorsqu’il avait 9 ans, il avait vu la licorne, dans la peau de Blanchette.

                                                                    



« Qu’elle était jolie la petite chèvre de M Seguin ! Qu’elle était jolie, avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées, et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande. »

                              *              
                         
- Là-bas ! Vous voyez ce gros bouquet de chardons bleus, tout droit au fond de la Combe, c’est par là que nous nous frayerons un passage dans le bois d’Itar. Jasmine, ma chérie, dites-nous un peu ce que vous avez prévu !
- Un truc tout simple pour commencer, la danse la plus élémentaire de monde : une ronde.
- Vous avez raison ! il vaut mieux rester au contact au début – on ne sait jamais.
- Non, si je proposais cette ronde, c’était juste histoire de lâcher nos inhibitions, enfin je veux parler des vôtres, parce que pour ma part, si j’étais seule, j’attaquerais direct par un hip hop !














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