Un récit d'anticipation de treize épisodes à la douzaine signé maestro & nunki Bartt |
Premier épisode
I
Les
visiteurs
c’ |
est, à
ce qu’il paraît, en l’espace de plusieurs nuits que les transurbences se sont
répétées, au cours de processions chaque fois plus importantes. Une fois, le
veilleur de nuit d’un hôtel a cru apercevoir un petit groupe de canis lupus faméliques, qui louvoyaient
aux abords du métro Mouton Duvernet.
Une autre nuit, c’est un livreur à vélo de chez Uber eat© qui jura ses grands
dieux avoir croisé, à 4 heures du matin, une troupe de fauves, des lions ou des
tigres (il ne sût pas les distinguer), affirmant qu’ils se déplaçaient
rapidement, mais sans courir, en direction d’Issy ou d’Ivry. En tout cas il est
certain qu’ils quittaient la capitale.
« Les villes sont de villes bordées
de nuit et peuplées d’animaux qui marchent sans bruit… » Il y eut bien, au début, quelques
inconscients pour les détourner, ou pour les contenir, en tentant de les
capturer avec des méthodes inadaptés, voire suicidaires. On peut dire que
ceux-là eurent beaucoup de chance, car les bêtes ne s’en soucièrent pas plus
qu’un poisson d’une pomme. « Toujours
dans votre dos, la peur vous suit… » Mais, au cours de la troisième
nuit, alors que les gens, terrorisés, restaient cloîtrés chez eux, des snippers
isolés commencèrent à les tirer au coin des rues, faisant parmi elles de
nombreuses victimes. C’est à la suite de cette nuit meurtrière que le Préfet de
police de Paris instaura le couvre-feu, interdisant formellement, sous peine de
déportation à la ménagerie de Vincennes (désormais vidée de ses pensionnaires),
de s’interposer puisque, de toute évidence, les animaux ne présentaient aucun
signe de comportement, comment dire, « hostile ». Quand la onzième ou
la douzième nuit, les grands mammifères herbivores emboîtèrent le pas des
prédateurs, lors d’évasions toutes aussi mystérieuses que spectaculaires,
l’éthologue et poète Lars Faber (surtout le poète), supposa qu’en s’évadant des
parcs, des réserves, des abattoirs, des zoos, et bientôt des cirques, les
animaux nous fuyaient afin de s’affranchir de notre triste réalité.
- Lorsque vous m’avez téléphoné, hier au soir,
Monsieur le direktor Papiak, je ne
voulais pas y croire, mais je ne serais pas honnête avec vous si je vous disais
ne pas connaitre les raisons de votre affolement…
- Une affaire considérable Faber, pour le monde
entier et pour le cirque en particulier, vous verrez, on en reparlera !
- Essayez de vous calmer Monsieur le direktor, et asseyez-vous, je vous en
prie. Racontez-moi, racontez comment c’est arrivé, depuis le début.
- C’est une catastrophe ! Mes hommes et
moi-même n’avons pas encore fait l’inventaire complet, mais je suis en mesure
de vous dire que 60% de mes animaux m’ont été volés ou ont disparu. Il ne reste
que les chiens et les chats du personnel, ainsi que les reptiles de la
contorsionniste bhoutanaise, quelques inséparables dans leur cage, qui eux ne
sont pas partis, et on se demande bien pourquoi…
- Et votre ours danseur comique ?
- Hélas ! Envolé lui aussi !
Faber
s’était levé et dirigé vers la fenêtre, soit pour y prendre l’air, soit pour
s’y pencher. Il montrait des signes d’impatience.
- Vous ne dites rien Faber ! Ça vous la
coupe, hein, ou bien on jurerait que ça vous ne surprend pas ! A croire
que mon histoire vous laisse indifférent…
- Je suis désolé Monsieur le direktor. Quelle heure avez-vous ?
- Eh ! bien, il est déjà cinq heures,
pourquoi?
- Vous devez avancer, moi j’ai moins cinq
- Ma montre, Pan Faber, est réglée sur l’horloge
de l’observatoire royal de Greenwich depuis trente ans. Elle me vient de mon
père, le général.
- Je vous demande pardon. Vous savez que j’avais
une très grande admiration pour votre père, le
général, le fondateur du Cirque Aram Papiak© ! Enfant, mon père
m’emmenait voir le plus grand cirque du monde, quand il s’installait pour un
mois, à Berlin ouest. Des générations entières de gamins ont vu les exploits
d’Horace le rhino, et de Primoz, l’ours clown et danseur étoile. Mais elle ne devrait plus tarder à arriver à
présent…
- Qui ça, attendez-vous une autre personne ?
- Oui, et elle m’a promis d’être ici à cinq
heures tapante. Depuis que je la connais, je ne l’ai jamais vu arriver en
retard à un rendez-vous.
- Et d’où sort-elle ?
- De Montréal, mon cher
- Kurwa mać !
Au
1534 boulevard Saint Laurent à Montréal, comme au 28 boulevard des Italiens
dans le 9ème arrondissement à Paris, on peut trouver deux commerces de bagages et
d’articles de maroquinerie, dont la ressemblance, à l’exception des enseignes,
est stupéfiante. Bien qu’il ne s’agisse pas de franchises internationales, on
peut recenser, d’un côté du monde comme de l’autre, les mêmes entassements de
sacs à mains, les mêmes valises trolley d’une solidité à toute épreuve,
encombrant le trottoir, cette fois encore, d’une largeur similaire, ici comme
là-bas. Rien ne diffère à première vue dans l’aspect de ces deux boutiques. Le
jour de ses 18 ans, Jasmine Tremblay, étudiante à l’Académie de danse de
Toronto, entre « Aux belles voyageuses » au 1534 boulevard Saint
Laurent en compagnie de sa tante Myriam, qui a insisté pour lui offrir ce sac « week-end »
du tonnerre, en basane blanc. Alors que
la tante Myriam est occupée à discuter du prix en espérant obtenir un spécial,
Jasmine entend au fond du magasin un bruit irréel. Sans hésiter, elle s’aventure
jusque dans la réserve, d’où il semble provenir. La réserve, étant plongée dans
une obscurité totale, elle se heurte à des boîtes de marchandises qui
encombrent le plancher. En caressant les murs, elle pense avoir trouvé
l’interrupteur, quand elle saisit un levier rouillé qu’elle abaisse accidentellement
en perdant l’équilibre, dérangeant un monte-charge obsolète. Le bruit irréel s’intensifie
en lieu et place du monte-charge. Le bruit est blanc. Elle embarque presque
machinalement sur la plateforme, poussée par une irrésistible curiosité. Le
monte-charge s’ébranle et descend, à ce qu’elle croit, au deuxième sous-sol.
Quand la machine s’arrête, elle voit jaillir du fond du magasin une lumière
éblouissante, qu’elle prend pour les néons violents d’une des nombreuses entrées
du Reso, la ville souterraine de Montréal. Elle traverse encore tout le magasin
sans trouver la tante Myriam ni la vendeuse, mais une autre vendeuse et d’autres
clients. Une fois dehors, déconcertée, elle est sur le trottoir devant
le « Bonjour Paris !», au 28 boulevard des Italiens. Déjà, au coin de
la rue, un homme, qui n’était plus de la folle jeunesse, l’observait. Il lui
souriait, entonnant les quelques paroles d’une chanson : The safe way is the only way. Cet homme,
c’était Lars Faber.
- Pourquoi n’iriez-vous pas ouvrir, Medved ? C’est pour vous, je crois.
- Comment ça pour moi ? Avec vous, il faut
s’attendre à tout, n’est-ce pas Faber ?
Papiak
n’en croyait pas ses moustaches. Face à lui, sur le pas de la porte, avec pour
tout bagage, son vieux sac week-end en basane blanc, Jasmine Tremblay, danseuse
vedette des « Grands Ballets du Canada de Montréal » lui souriait, en
mâchant du chewing gum.
- Alors, c’est vous panna Tremblay, celle qui
peut traverser l’atlantique comme on traverse la rue ! Gówno, comment diable
est-ce possible ?
- Il suffit de suivre la piste du cuir, monsieur
le direktor. A ce propos, comment va Primoz,
mon nounours préféré ? Danse-t-il toujours comme un dieu ? Vous ne
répondez pas ? Vous m’inquiétez, Medved ! Ne me dites pas …
A SUIVRE
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