Deuxième épisode
Faber avait
parfaitement combiné en arrangeant cette rencontre. Depuis
l’épisode de la belle et la bête, le circus ballet écrit pour elle et le refus de Jasmine d'y participer, ils ne s’adressaient plus la parole. Leur association était
pourtant indispensable au poète, Le direktor
du cirque Papiak©, en ces qualités de dresseurs de fauves, et Jasmine Tremblay,
parce qu’elle était danseuse étoile, et spécialiste de cryptozoologie. Des
cocktails avaient été servis dans le petit cabinet du docteur. Il se devait de détendre
l’atmosphère, ayant déjà une petite avance sur les deux autres, en cela, qu’il
connaissait leurs goûts : il prépara un black russian pour Medved Papiak ainsi qu’un Caïpirinha pour Jasmine. Pour sa part, il ne dérogeait jamais à son
éternel bloody Mary.
-
Et qu’est-ce que ça peut vous faire à présent que
mon ours ait disparu. Je vous avais fait une offre, Panna Jasmine, que vous
avez refusée. Je vous faisais un véritable pont d’or !
-
Oui ! je vois ça d’ici : sillonner le
monde sans relâche avec le même numéro, deux fois par jour, sans y changer un
seul pas ! Une pesante routine Medved. C’est tout que vous aviez à
proposer à une jeune danseuse : la routine ?
-
Primoz était le partenaire idéal Panna, celui
qui aurait sublimé votre talent. Il aime quand vous dansez, il se dresse, et
grogne de plaisir quand je lui montre des films où l’on vous voit danser pour
les Grands Ballets du Canada. Vous êtes faite pour danser avec lui, comme
Ginger Rogers est faite pour danser avec Fred Astaire !
-
Mais qu’est-ce que vous avez dans la tête
monsieur le direktor Papiak ? Faudrait-il encore que je tombe en amour
avec votre ours !
-
Je pense panna Tremblay que beaucoup de choses
nous échappent en ce monde, et nous échapperont
encore…
-
Ah ! enfin, vous faites quand même un peu
attention à moi.
-
(…) Et le jour où ça ne passera plus ?
-
N’ayez pas peur Lars, le « Bonjour Paris !
» est une ancienne tannerie, installée sur les grands boulevards depuis
le XIII ème siècle. Depuis plus de cent ans, on y vend des articles de
maroquinerie. L’odeur est si persistante, qu’elle a imprégné les murs à tout
jamais. Je pourrais toujours arriver à Paris. L’inconnue vient plutôt du
boulevard Saint Laurent, à Montréal.
-
Très bien jeune fille, mais comment partir des
« belles voyageuses », si jamais, entre-temps, l’établissement
changeait d’activité, ou de propriétaire, et pour les mêmes raisons, comment y
retourner ?
-
Ce qui m’encourage à emprunter ce tunnel c’est
tout simplement le fait que c’est moi qui l’aie découvert, et parce que depuis,
je suis moi aussi imprégnée de cette odeur de cuir.
-
Mumm, je l’avais remarquée, cette entêtante odeur
de musc…On peut rester prisonnier du temps mademoiselle Tremblay, ça
s’est déjà vu !
-
Eh bien, dans ce cas, j’espère que me feriez
l’amitié de venir m’y chercher !
-
Si vous me mettais à l’épreuve…sachez, que pour
vous, j’y foncerais tête baissée, tel un aurochs !
« Le re’em voudra-t-il te servir,
passer la nuit chez toi devant la crèche ?
Attacheras-tu une corde à son coup,
hersera-t-il des sillons derrière toi ? »
Au
cours du dîner qui fut servi froid, car il n’était pas installé pour faire
bonne chère, le poète Faber encouragea Jasmine à relater, à l’attention du direktor
Papiak cette expérience extraordinaire, vécue à bord de « l’Athéna ».
Le chalutier, selon son capitaine, était
sur le point de faire une pêche miraculeuse, et de mémoire d’homme, on n’avait
jamais vu ça, du moins pas depuis que le patron Oliveira avait commencé à
naviguer, dès l’âge de douze ans, avec son père. Jasmine, qui à l’époque des
faits, était montée à bord comme observatrice de l’ONG « Première
Nation », avait constaté que les chaluts, à la remontée, contenaient, non
seulement, toutes les variétés de poissons escomptées, mais aussi bien d’autres
espèces encore, comme des requins baleines, des poissons lunes, et en plus
grand nombre, des dauphins, lesquels avaient été accidentellement ramassés par
les filets. Quand, au cours de la nuit, où la mer était grosse, un nouveau
chalut apparût, cette fois encore plus chargé que tous les autres, les ouvriers
crurent qu’ils avaient vidé la mer une bonne fois pour toute, tant la poche regorgeait
de tout le vivant abyssal. Quand le poisson tomba sur le « pont-attention
au matelot », ils s’agenouillèrent et prièrent, car les marins qui
proviennent de cette région de Paratii sont réputés pour être les gens les
plus pieux du Brésil.
« En la province qui est le long de
la rivière de Plate, se trouve une bête que les sauvages appellent
« Pirassoupi », grande comme un mulet, et sa tête quasi semblable,
velue en forme d’un ours, un peu plus colorée, tirant sur le fauve et ayant les
pieds fendus comme un cerf. Le Pirassoupi a deux cornes fort longues, privées
de ramures, fort élevées et qui approchent de ces licornes tant estimées.
-
Je me souviens comme si c’était hier. Les
poissons agglutinés, grouillants, formaient une vague de plus d’un mètre
jusqu’aux sabords. Il en déferlait de partout, poissons, cétacés, requins, calamars
géants ! Nous étions débordés. Et c’est là que je l’ai vu, lui !
-
Mais qui Panna Jasmine, qui ?
-
Le Pirassoupi.
A
peine montée à bord de L’Athéna, Jasmine avait trouvé le moyen de disposer, en
douce, des hydrophones sur les flancs du navire ; ces micros qui pouvaient
l’avertir de la moindre présence d’une licorne aquatique, ce cryptide que l’on
fait passer pour un animal mythique, mais qui avait été décrite au XVI ème
siècle, lors d’un voyage le long les côtes du Brésil, par l’explorateur et cosmographe
André Thevet. Beaucoup, à ce sujet, ne croient plus au mythe, dont notre
danseuse vedette, mettant en avant les dodos et les quaggas, entre autres
espèces éteintes, grâce à la persévérance des hommes pour les faire disparaître.
Cette question s’était posée très tôt chez Jasmine : La licorne, nommée
aussi sous d’autres latitudes : le qilin, le karkadann, le shadahvar, le
camphruch, ou celui qui nous intéresse, le pirassoupi, étaient-ils des animaux
disparus du fait de l’homme, ou, avaient-ils toujours été parmi nous, dans
l’imaginaire collectif, et dissimulés à notre regard ? C’est au fond la
question que se posait chaque cryptozoologue et tous ceux qui auraient donné leur
vie pour voir, une fois au moins, un phénomène comme l’Unicorn.
-
Jasmine, vous m’avez dit que le pirassoupi
s’était réfugié à la poupe du navire. Vous m’avez dit aussi qu’il se mouvait à
une vitesse telle, que sur le coup, l’équipage ne l’a pas remarqué. Vous m’avez
dit surtout que le lendemain matin, les pêcheurs ont constaté que la manne remontée
la veille avaient pratiquement disparu. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, vous
m’entendez Jasmine ?
-
Je crois que j’en tiens une bonne. Je n’ai plus
l’habitude de boire comme ça, je dois prendre l’air.
-
Le pirassoupi Panna Jasmine, vous nous parliez
de cette licorne aquatique.
-
Ah ! oui, celle qui a deux cornes. Il a
absorbé les créatures marines, oui, c’est lui qui les a assimilées toutes, j’en
suis sûre - idem pour les deux pécheurs…
-
Jasmine, Jasmine, encore une chose !
Voulez-vous me redire le nom des deux pêcheurs disparus ? Jasmine, comment
s’appelaient-ils ?
A SUIVRE
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