Un récit d'anticipation de treize épisodes à la douzaine signé maestro & Nunki bartt |
Jasmine voulait tenter une approche toute différente de celle du chasseur. Elle voulait créer un clinamen, une façon nouvelle de penser la marche dans les bois, pour n'approcher ni trop vite, ni trop prêt d’Unicorn. Leur trajectoire ne garantissait aucun succès à s’effectuer en droite ligne, bien au contraire, elle devait comprendre des déviations, des tangentes (quitte à revenir sur leurs pas), des changements de sens, et seul l’acte de danser : une manière en soit de se déployer poétiquement, pouvait leur permettre de s’ouvrir tout un monde d’imprévisions et de foisonnement artistique. L’Unicorn, toujours selon la danseuse, était une bête sensible, fantasque autant que fantastique, douée d’une intuition extraordinaire. Elle prétendait que le rythme de sa locomotion n’était ni le trot, ni le galop, mais le pas de danse. L’approche brutale du chasseur ne pouvait que l’alerter, l’effrayer, la faire fuir. « Si nous dansions tous les trois dans le bois d’Itar, disait-elle, nous serions à peine plus gênants que le bris d’une branche, qu’un battement d’aile, qu’un frisson d’air dans le feuillage. »
"Ausi conme unicorn sui
Qui s’esbahist en regardant,
Quant la pucelle va mirant.
Tant est liee de son ennui,
Pasmee chiet en son giron;
Lors l’ocit on en traïson.
Et moi ont mort d’autel senblant Amors et ma dame, por voir :
Mon cuer ont, n’en puis point ravoir."
La nuit déroulait sa tapisserie d’étoiles et de rêves. Faber avait laissé le volant au direktor à mi voyage, quand Jasmine était allée prendre du repos à l’arrière pour préparer la danse du Shadahvar. Le dompteur de fauves avait très vite constaté que l’estafette manquait de reprise, et qu’en l’occurrence, sa bétaillère aurait mieux fait l’affaire. Faber, qui frissonnait à chaque fois qu’il entendait ce mot, avait supplié le direktor de ne plus le prononcer, du moins, une fois qu’ils seraient sur le terrain. Papiak promit. Puis ils échangèrent sur le sort que les hommes, depuis des siècles, réservaient aux animaux. Ils ne tombèrent d’accord que sur ce point, maintenant que l’estafette quittait l’autoroute et traversait un hinterland peuplé de pins noirs et bordés de ferns, que les animaux en captivités dans les zoos et les cirques étaient plus en sécurité que dans leur milieu naturel (bien que Faber soit le premier à le déplorer), où ils étaient, pour la plupart, traqués, pourchassés, braconnés, ou pris pour cible par de riches commanditaires en quête de nouveaux trophées lors de safaris sanglants. Aujourd’hui, on ne trouvait plus certains animaux sauvages qu’en captivité, l’espèce ayant totalement disparue à l’état sauvage, quand on les comptait sur les doigts de la main dans les réserves. Papiak avait remonté ses manches pour conduire à l’aise ce qu’il qualifiait de « tas de ferraille », et Faber en le regardant tirer sur son cigarillo, avec sa moustache noire et ses cheveux blancs, aurait juré que ce type installé au volant de l’estafette, avait toujours été un boulanger en livraison.
- Savez-vous Faber, que je songe sérieusement à dresser cette garce.
- Vous parlez de notre Jasmine, Medved ?
- Non !, mais non, głupi ! Je vous parle de la licorne. Imaginez Faber, imaginez un peu si je pouvais m’en emparer, avec tout le potentiel que dégage cette créature, si j’arrivais à la dompter, à en faire ce que je veux. Un ours, ça reste un animal ! mais une licorne, c’est un mythe, une légende vivante, Ha ! Ha ! exhibée partout dans le monde, du jamais vu ! Ma fortune et ma gloire, Faber, et ma gloire ! Vous m’aiderez, n’est-ce pas ?
- Craigniez plutôt, M le direktor Papiak, qu’elle ne vous joue un mauvais tour…
« C'est le plus redoutable de tous les animaux qui existent au monde, sa vigueur est telle qu'elle ne craint aucun chasseur. Ceux qui veulent tenter de la prendre par ruse et de la lier doivent l'épier pendant qu'elle joue sur la montagne ou dans la vallée, une fois qu'ils ont découvert son gite et relevé avec soin ses traces, ils vont chercher une demoiselle qu'ils savent vierge, puis la font s'assoir au gite de la bête et attendent là pour la capturer. Lorsque la licorne arrive et qu'elle voit la jeune fille, elle vient aussitôt à elle et se couche sur ses genoux ; alors les chasseurs, qui sont en train de l'épier, s'élancent ; ils s'emparent d'elle et la lient, puis ils la conduisent devant le roi, de force et aussi vite qu'ils le peuvent ».