dimanche 2 avril 2023

Baxter VS retxaB : Où s'en vont les caravelles ? #2

 

Aubrey Beardsley How Sir Lancelot was known by Dame Elaine - 1893




Jouez-moi !


Où s'en vont les caravelles ?



C’est lors d’une récréation que Marielle m’apprend, en chantant (heureuse ou malheureuse, elle chante souvent ce qu’elle veut dire), qu’elle va déménager de la rue Nationale pour une maison toute neuve, que son père fait bâtir depuis deux ans déjà et dont la construction va s’achever bientôt, à la limite du Loir et Cher, sur un coteau surplombant la Loire, au bout d’un village arraisonné par les vignes. Il conserverait le magasin, à condition d’en confier la gérance à quelqu’un, quelqu’un comme lui, qui aime les aspirateurs à traineau et les machines à coudre électroniques, qui tiendrait le magasin Moderne, tandis que Jo lui, repartirait sur les routes comme au bon vieux temps de sa jeunesse, car il fallait en vendre des aspirateurs à traineau "Booster" pour payer les traites du Palace. Je suis proche du K.O, alors qu’elle jubile dans la description délirante de sa nouvelle maison. Je n’écoute plus. Je suis sûr qu’elle va quitter définitivement notre école, que le Palace, si proche encore, sera toujours trop loin pour moi, que j’en mourrai. Elle joue machinalement avec le lobe de mon oreille droite et, avec une moue exquise, m’assure que rien ne changera, qu’elle avait déjà fait promettre à Mady et à Jo qu’elles finiraient leur année scolaire ici, à l’Ecole du Clos, avec nous, les petits frères.

« Tu sais, j’en fais ce que je veux de mes parents. »


Thomas Gainsborough " Daughters with a cat"- 1760 (?)


Il m’a fallu trente années pour comprendre comment Man avait réussi un tel coup. Le déménagement express, la destination ; vous verrez, c’est une surprise !  (comme si on avait envie de jouer sachant que de toutes façons, on perdait à tous les coups), Papa qui nous rejoindrait, plus tard, quand on sera installés. La Verrerie, ce paquebot géant échoué entre la campagne et la forêt, l’appartement spacieux, en duplex, avec trois chambres pour tous les gosses de Man, avec une terrasse :  il y a même un préau, comme à l’école  avec en prime la chienne Britt, pour faire passer la pilule : c’est un épagneul, elle a son pétigré !  Elle  croyait en savoir des choses, Man.

Tout ça, comment elle aurait pu le trouver toute seule, sans être aidée ? Elle savait à peine prendre le train ! On n’avait pas encore ce téléphone providentiel qui lui aurait facilité ses recherches depuis là-bas. Alors comment ?

Jo et Mady lui ont trouvé ce logement qui nous conviendrait à merveille ; c’est à cause de Mady et de Jo que nous sommes venus dans cette ville, les rejoindre. Ma mère et Mady étaient si liées qu’elles pouvaient très bien échanger des lettres, et quand il lui avait fallu parler des mauvais traitements, du manque d’argent, des insultes, des volées, Man n’avait pas dû manquer d’émouvoir Maddy, qui n’aimait en rien Papa, cet alcoolique ! Et Maddy aurait confié à contrecœur ses petites à ce porc, à ce poivrot  de Papa, celui-là-même qui un jour, s’était écrié en voyant arriver le petit Bouboule à la maternité (lui qui aurait tant aimé avoir une fille) : « Encore un mâle ! »

 C’est cet homme-là Maddy, qui accueillit tes filles dans notre appartement, sans jamais réfréner la joie constante qui l’enveloppait, mais qui dévastait son cœur. Cet homme-là Maddy, qui demanda toujours après qu’elles fussent parties, des nouvelles des petites princesses, ô ! 

Le quartier de la Verrerie dit "Chicago" à Amboise, dans les années 80


Elle est venue à la Verrerie, passer la journée de dimanche, sans Diane, souffrante qui est restée au chaud. Nous sommes dans notre grande chambre, le Boub, elle et moi. Elle nous montre comment on peut écrire à l’envers à l’aide d’un miroir quand, depuis la chambre voisine, Richee l’appelle pour lui montrer ses derniers dessins de dragons et de têtes de mort. Alors que nous effectuons les exercices qu’elle nous a donnés à faire en l’attendant, j’entends Richee glousser, mais ce n’est pas le rire de Richard. Il ne rit jamais comme ça. Il rit souvent comme un idiot, mais jamais comme un débile. Marielle, avec une voix très ferme, nous commande de venir les rejoindre dans l’autre chambre. C’est Boub, qui prend l’initiative de se lever le premier. Moi, j’adhère éternellement à la moquette de la chambre, déjà contaminé par ce mauvais présage qui s’imposera longtemps à moi quand il s’agira d’elle : «  Il ne faut pas y aller. »

Elle était là, dans la chambre c’est vrai, dans la chambre de Richee. Pourquoi était-elle sur le lit de mon frère, je ne sais plus. Nous avait-elle appelés, Richee était-il déjà près d’elle au bord du lit quand nous entrâmes ? Nous, sans consistance, absorbés dans sa lumière. Dans les orbites de ses yeux, deux argus dont l’affolant va et vient signifiait ou notre délivrance ou notre destruction.


Hans Bellmer les petites acrobates 76 x 56 cm 


Crédits : Benjamin Britten 
Relecture : Snow Rozett




A suivre 

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