lundi 5 avril 2021

La cyber diffusion baxteriène présente : Unicorn 16










Un récit d'anticipation signé maestro & Nunki Bartt


Seizième épisode


Grondés par Jasmine comme deux marmots, ils durent reprendre leur sérieux, et se concentrer sur les yeux d'Unicorn. Fascinés par cette pupille,  comme on aurait dit l’œil du diable, un trait horizontal qui traversait l’iris jaune, voyageuse - c' étaient les deux étoiles du matin tombées du ciel sur le gouffre froid de la terre pour l'embraser. Et comme il fallait s’y attendre, eut lieu l’incident qui allume l’étincelle de vie et de mort. Un couroucou de Cuba (sans doute échappé de la volière d’un jardin climatique), vint tranquillement se poser sur ce qu’il crût être un solide perchoir pour accueillir son repos. Le disque noir se mit à battre la chamade, plongeant la piste dans une totale obscurité . On ne distinguait même plus les couleurs vives de Lars. Jasmine vibra de tout son corps quand les yeux d’Unicorn s’allumèrent enfin, plus grands encore. Ses pupilles, à force de croître, émirent une lumière bleutée laiteuse sortie de ses cavités, les contaminant l’une l’autre, pour n’en faire plus qu’une, dans laquelle grandissait un œil unique, et d’où s’animaient des fulgurances et des rythmes cinétiques, des traits, des sinusoïdes délirantes, et tout cela n’était encore qu’un proto-spectacle, qu’un fourmillement de formes dans un monde sans queue ni tête. Ils espéraient que quelque chose se passerait, mais à vrai dire : ils espéraient tout, tout ce qu’ils attendaient de savoir, de comprendre depuis si longtemps. L’oiseau ne resta pas plus d’une minute sur la corne, car à peine se fut-il posé, que son bec s’effaça sans qu’il n’eut le temps de l’ouvrir, puis ce fut le tour de sa tête, et des ailes qu’il essaya vainement de déployer et qui subirent le même sort sans qu’une seule plume n’en réchappa. Enfin, l’immense queue du couroucou disparut à son tour.

Les contours des formes apparues dans l’œil d’Unicorn s’affinèrent pour devenir plus net et délivrer les premières images. Ils purent, déjà, admirer la formation d’une nuée d’insectes microscopiques qui brouillait le ciel, puis très vite, des myriades de chauves-souris pulvérisèrent le nuage d’insectes et attrapèrent çà et là ce qu’elles pouvaient. Ce fut alors un vol  en rase motte de martinets qui s’invitèrent au festin. Sans transition, après que la licorne eut poussé un profond soupir, nous fûmes transportés au fond d’une caverne, distinguant parmi des silhouettes humaines qui s’animaient, une main tenant un bol de terre cuite. Et nous vîmes l’autre main, la gauche, munie d’un morceau de charbon de bois qui s’approcha de la paroi de karst. La main dessinait sans jamais se repentir, le corps, ou la forme du corps d’un animal étrange, dont la tête était prolongée par une longue corne. A certains moments, on discernait une petite lampe à huile venir éclairer l’artiste à l’œuvre. Nous assistâmes, médusés, à la première apparition artistique, depuis que le monde était né, de cet animal étrange qu'est la licorne. Nous dûmes attendre, le temps de reprendre notre souffle, que la licorne charrie de nouvelles images de son hyperêve. Quand l'émission des  songes reprit, nous fûmes à nouveau les témoins d’un défilé d’animaux sauvages ou domestiques qui marchaient dans la nuit ou dans la lumière crue du soleil. Il est bien vrai que les grands mammifères dorment debout. Parmi tous ces animaux qui se succédaient, nous pûmes distinguer quelques insectes et parmi eux, identifier Samsa, le bousier géant équilibriste de renommée mondiale. Nous reconnûmes « Le Marquis », le lucane, dit aussi cerf-volant, champion de kick boxing. On attendait fébrilement ce que l’œil de lumière allait encore nous révéler, quand un ours (oui, c’était bien un ursidé, et de bonne taille), vint jouer du museau sur le fond de l’œil de la créature endormie. Sa curiosité et son comportement joueur étaient les mêmes que chez ces bêtes sauvages filmées la nuit, et que débusquent les petites caméras d’observations fixées aux troncs des arbres. Il redonna du museau dans l’œil-écran d’Unicorn. Toutes les images, à présent, nous parvenaient en infrarouge, et on ne voyait que le blanc sans pupilles des yeux de l’ours qui lui mangeaient  la gueule, le « fantôme d’ours" qu’avait évoqué Chuca dans le dessin. 

Quand il reconnut Primoz, Medved Papiak se rua comme un dément sur la licorne, chassant sans ménagement Jasmine de dessous la bête. Il vint se placer dans son dos, derrière l’encolure, quand celle-ci amorçait un timide réveil. Le direktor empoigna son fouet par les deux extrémités du manche pour le serrer contre sa gorge. Jasmine voulut l’en empêcher, mais Lars la retint, présageant un plus grand danger à venir. Quand il voulut lui briser le cou, nous vîmes très clairement la double paupière de son œil s’ouvrir et se fermer alternativement dans un lugubre augenblick . La licorne venait de rompre le fil de ses rêves. Lars essaya de raisonner Med, Jasmine le suppliait de lâcher la bête qui drabbdullait crescendo. La danseuse intrépide s’était réfugiée contre une souche de saule; elle pleurait. Mais plus rien ne pouvait plus émouvoir le direktor Papiak, maintenant qu'il n‘était plus qu’un animal aux abois. « - Rend-le moi chlapa ! Rend-moi mon ours, créature du diable ! » Il la garrottait, obstinément. Unicorn souleva son ample encolure et balança violemment sa tête en arrière, entraînant sa longue épée qui avait encore gagné en envergure, approchant celle du pilum. le choc fut d’une brutalité inouïe ! La torsade était venue se loger dans la gorge du dresseur fou. On perçu un cri, quelques mots étouffés : « - Je suis Medved Papiak, rozumiecz ? » La pointe de la corne avait traversé la gorge pour ressortir par la nuque, et pourtant, aucun sang ne coulait. Le direktor, harponné, semblait nous sourire : A croire qu'il avait atteint une sorte d'extase ! La licorne, furieuse, maintint le dresseur embroché à la pleine verticale, et l’on vit le corps massif tourner sur la corne dans le sens anti-horaire, suivant les mouvements sinueux de la torsade qui fonctionnait  comme une rôtissoire. Il tournait, tournait au rythme d’un chiche-kebab. La force de la bête était colossale, maléfique, et Jasmine dut convenir avec tristesse qu’une telle créature ne pouvait avoir de place en ce monde. Les mains qui tenaient toujours le fouet serré commencèrent à disparaître, les avant-bras suivirent lentement, et ce fut le tour du torse, des jambes, enfin du corps tout entier. Papiak se consumait dans l’air brumeux, et la créature se concentrait sur ses exercices, écarquillant les yeux, maintenant qu’ils étaient à nouveau distincts l’un de l’autre. 


                                       

                                           Tes pupilles chaotiques et farouches

                                           étincellent au soupir

                                           qui exhale et me déchire les entrailles

                                           et pendant que j’agonise, toi, assoiffée,

                                           tu sembles un vampire sombre et obstiné

                                          qui de mon sang ardent se repaît


Elle l’absorbait, patiemment, scrupuleusement. Pas de sang, aucune plaie. Aucun son non plus n’émanait de la bouche, maintenant qu’il n’ avait presque plus de visage. Que les yeux, que la bouche. Les yeux donnaient l’impression de vous sourire, quand la bouche charriait de sombres pleurs. Lorsque le sourire de Med Papiak ne fut plus qu’une horrible grimace et le dernier moyen de l’identifier encore, l’urgence d’un retrait stratégique s’imposa. Tous les arbres autour d’eux vibrèrent et la terre remua, puis s’effondra. L’air se déchira dans un froissement d’aluminium.

- Cessez avec ce téléphone Jasmine et foutons le camp d’ici, nom de dieu !

- Encore une dernière photo Lars ! C’est notre seule preuve…

- Courez Jass’ !  Barons-nous avant qu’elle ne nous embroche à notre tour !

- Et Med ?

- Attrapez les yeux ou prenez une photo de son sourire, si ça vous chante, mais venez, espèce de bourrique !




Elle ne voulait pas quitter la tanière de la licorne, abandonner tout ce qui restait de Med, sa bouche et ses yeux-chats, elle ne voulait pas abandonner cette créature mythique qu’elle avait cherchée toute sa vie. Il dut prendre sa main de force, afin de mettre la plus grande distance entre Elle et eux. Une force terrible les expulsa de la clairière. Leurs pieds ne touchaient plus terre ; ils filaient à une vitesse vertigineuse à vingt pouces au-dessus du sol. Les arbres se couchaient sur leur passage, et  ni l’un, ni l’autre, n’aurait pu dire ou croire à cet instant tragique de sa vie, qu’il pouvait périr, dès lors qu’ils étaient soufflés par cette vague destructrice, cette onde de choc qui avançait irrésistiblement à la vitesse d’une coulée pyroclastique. Cependant, Ils étaient partagés entre l’impression de se débattre en plein cauchemar, et d’évoluer artificiellement devant un écran bleu, ou plutôt, devant une vilaine transparence à la Hitchcock,  bien visible, autrement dit : une grosse ficelle. Un platane à feuilles d’érable s’abattit sur eux, et ils se crurent perdus, mais ils passèrent sans la moindre égratignure. « -Nous volons Jasmine, Ha ! Ha ! Ha ! » Le tipi était en vue, mais comme ils avaient mis toute la voilure, ils ne purent freiner à temps, le dépassant de 7 bonnes coudées, se forçant à faire demi-tour pour mieux l’atteindre. Comme deux parachutistes maladroits, ils se posèrent en catastrophe devant le seuil. Le bruit du galop de deux cents mustangs se fit entendre depuis la lisière. Jasmine et Lars ne s'étaient pas fait de politesses pour se réfugier dans le tipi. La jolie symétrie, protectrice, que Lars avait créée à l’orée de la clairière, et qu’ils avaient crue si parfaite, ne tenait plus dans ces circonstances désastreuses, et ne leur donnait plus aucune garantie de survie. Jasmine avait demandé : 

- C’est ce qu’on appelle une Voatsiperifery Lars, n’est-ce pas ? Je suis une grande fille maintenant, vous pouvez tout me dire, vous savez…

- Je n’en sais foutre rien, ça pourrait très bien ressembler à un stormcollapsing. Personne jusqu’à ce jour, n’a jamais vu une Voatsi en formation, vous m'entendez Jasmine, personne ! Quel imbécile je fais ! Maintenant, je sais qu’elles émanent en partie de notre propre comportement. C’est bien dommage beauté ! Je n’ai pas su vous protéger Med et vous, je…

- Qu’est-ce qui est dommage, Lars ?

- De comprendre enfin, quand tout est fini…


              apprends-moi à ouvrir les jambes et met-la-moi

              retiens mon hystérie dans tes yeux

              caresse mes cheveux et ma peur avec tes lèvres

              qui ont prononcé tant de jurons, soutenu tant d’ombre

              apprend-moi à dormir, c’est la fin 



A SUIVRE

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