Douzième épisode
Et Lars Faber fouilla dans sa musette, s’empara d’un autre calepin, plus petit que le carnet d’observation, prit un crayon, et écrivit le poème qui lui était venu pendant la danse :
La licorne sans cigarette
Quelqu’un est venu prendre mes cigarettes
dès que j’ai eu le dos tourné
et je crois savoir que c’est toi,
toi qui as profité que nous étions là-haut,
tous les trois, dans les arbres, fous de croire que nous pouvions te surprendre,
fantôme Transgénérationnel, toi qui a subtilisé (il ne me vient pas d’autres mot),
mon paquet neuf de « mélange spécial » sans laisser aucune trace,
ni faire aucun dégât, comme ne l’aurait pas fait le premier sanglier venu.
Il me vient subitement une question : « Sont-ce ces petits cylindres ocrés et blancs
dans leur paquet, si bien rangés, qui t’ont menée jusqu’à nous ? »
Et maintenant que je n’ai plus qu’à rêver que je fume dans le bois d’Itar
ce tabac d’Ontario et de Virginie, prisonnier de mes promesses,
Je me demande de quel désir profond voulais- tu vraiment me priver, Unicorn po…
Mais le poète n’eut pas le temps d’achever le poème. Papiak avait bondi de son poste d’observation. On n’aurait pas su dire si c’était le dresseur qui était descendu de l’arbre, ou si c’était l’arbre qui était descendu du dresseur. Il marcha tout droit vers Faber. « - Qu’est-ce qui vous prend Medved ? On jurerait que vous avez vu un fantôme ! Il répondit juste : - Oui, Je viens de voir Sally ! » Faber lui demanda qui était Sally, et l’autre haussa les épaules, consterné, car il ne faisait aucun doute que tout le monde connaissait Sally, à part Faber ! Jasmine vint au secours du poète : « C’est l’otarie prodigieuse du cirque Papiak », et Faber demanda au dompteur comment il pouvait être si sûr qu’il s’agissait bien de son otarie Sally. Alors, prenant son visage à deux mains, Papiak éclata : « Parce qu’elle jongle encore avec le ballon aux couleurs de la Pologne, que je lui ai offert l’été dernier, Herr Doktor ! » Sans coup férir, Il shoota dans le carnet de poésie de Faber et l’envoya valser dans les boulettes de riz. Le poète alla calmement le ramasser, mais visiblement, le dresseur Papiak ne s’appartenait plus, et il prenait une direction, hors de la zone d’évitement, droit vers le giron d’Unicorn, sans même recourir au vecteur de la danse. Il hurlait : « Tu as eu Horace et Primoz, chlapa ! Tu n’auras pas Sally ! Tu m’entends shreklisches Tier ! – Dansez au moins, Medved, dansez, criait Jasmine » Faber lui exhortait de revenir en arrière, et en cette matière, le break danse était la mieux appropriée. « - Moonwalkez, Medved, par tous les saints ! » Papiak s’était mis à courir et Faber, sans s’en poser, prit lui aussi ses jambes à son coup et agita les bras comme pour s’envoler. Il fit des bonds dignes d’un triple sauteur. Dans ces conditions, il fut presqu’à hauteur du dresseur, mais essoufflé, il comprit très vite qu’il ne pourrait jamais le rejoindre, car ses mouvements étaient frappés par le bégaiement comme l’exigeait sa danse improvisée. Papiak, sans doute galvanisé par sa haine contre Unicorn, était bien trop rapide. Faber se déploya alors tel un jaguar, avec un saut de l’ange qui nous régala. Et, comme il tombait à terre près de la cheville gauche du direktor, il lui fit ce qu’on enseigne dans toutes les écoles de rugby, comme étant le dernier rempart contre la percée adverse, quand tout semble perdu, cet ultime geste de défense, presque primitif, « une cuillère », qui se montra très efficace, car Papiak alla s’écraser la face, les deux bras brandis devant, dans une forêt d’amanites tue-mouches, mais il se releva, encore plus furieux, et déroulant son fouet redoutable, il le fit claquer au nez et aux oreilles de Faber.
- Dites, vous battez la breloque, mon vieux !
- Langsam, mein Herr, sachte !
- Ja, Ja ! Allons sous la charmille où l’églantier fleurit.
- Stillbleiben !
Papiak fit claquer son fouet derechef, ce qui provoqua une trouée spectaculaire dans le nid de feuilles à ses pieds. C’est alors que Faber s’en saisit, l’enchaîna à lui en le tressant autour du bras, et le dompteur se trouva irrésistiblement entraîné vers Lars, lequel, lorsque le vieux parvint à sa portée, lui décocha une bonne droite de Welter, juste à la base du menton, le renvoyant rejoindre le tapis d’amanites. Et le bois d’Itar, qui serait toujours trop petit, accueillit à nouveau le râle puissant de la licorne comme un messager apporterait, depuis les confins des âges, une bien triste nouvelle.
« Mais un homme occupé à contempler le naufrage de son passé dans l’aube des nouvelles espérances ne peut avoir faim chaque fois que le riz est prêt. »
IV
Parade sauvage
Elle drabbdullait ! A vous en éclater les tympans. Et dans ce cri circulaient les harmonies secrètes du monde animal, depuis que la limule avait répandu le sang bleu. Faber disait que les hurlements venaient de devant, du Sud. Jasmine disait le contraire, que l’appel venait de derrière, du Nord, et que la licorne les prenait à revers. Le direktor, lui ne disait rien, il accusait le coup et récupérait sur la natte de Jasmine. Elle avait pris sa place sur la branche maîtresse du chêne tortueux. La longue silhouette noire, luisante, odorante, juchée là-haut dans le feuillage roux inventait une nouvelle espèce d’oiseau exotique. Par acquis de conscience, le premier oiseau qui vint à l’esprit de Faber fut le marabout d’Afrique.
- Tenez Medved, votre fouet, vous l’aviez oublié.
- Oh ! ma mâchoire. Je dois avouer Lars, que vous avez une sacrée droite.
- Je me défends. Mais la prochaine fois qu’il vous prendrait l’envie de dompter un animal, apprivoisez-le ! Parfois, le recourt au fouet est inutile.
- Vous êtes pourtant de la race des lions Faber, des lions solitaires, de loin la plus dangereuse !
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