Un récit d'anticipation de treize épisodes à la douzaine signé maestro & Nunki Bartt |
huitième épisode
La question des vivres se posa quand, à hauteur d’une sous-préfecture, le direktor Papiak boulota le dernier œuf dur. Ce carnassier redoutable acceptait, dans ces circonstances, de faire quelques repas frugaux, mais à condition que ça ne dure pas. Faber était plutôt à ranger parmi les indécis que l’on nomme flexitariens, alors que Jasmine était radicalement végan, bien qu’elle ne se séparât jamais de son précieux sac weekend en cuir blanc. Il circulait, à l’intérieur de l’estafette, une forte odeur de tannerie, qui émanait de la danseuse (sans que cela ne la gêne), et qui s’en échappait régulièrement lors d’effluves à racoler plus d’un chasseur cueilleur. N’importe qui aurait vu en Jasmine un paradoxe vivant. Elle ne portait pour tout vêtement, en accord avec ses principes, qu’une combinaison intégrale en kevlar noir étoilé, qui la gainait tout entière, et qui se terminait par des solerets intégrés. La combinaison épousait les formes aquatiques d’une nixe, avec des jambes galbées qui plongeaient vers le delta de ses fesses dans un évasement de joie. Quant à l’équilibre de ses seins, il était aussi parfait que la régularité et le rythme des fenêtres des hautes façades napolitaines. On attendait plus qu’elle y pende son linge de maison. Ils décidèrent donc, à deux voix contre une, que pour accompagner le riz quotidien, ils feraient une bonne cueillette de champignons. Ils trouvèrent, au cours d’une matinée fraîche et lumineuse, des tales de girolles, des tapis noirs de trompètes de la mort, ainsi que quelques oronges solitaires nées avec la rosée du matin. Mais, à la demande du poète, qui n’en démordait pas, les sachant à l’approche de la zone fatidique, ils boudèrent les pieds de moutons et les langues de bœufs. Jasmine ramassa même des jeunes pousses de fougères que dans son pays, on appelle « crosse de violon », ainsi que des circes, ces petits chardons que l’on dit comestibles. A ce stade du voyage, chacun avait pu estimer que l’exercice avait été profitable. Ils se détendaient, enfin, s’abandonnant au jeu des mêmes perspectives, des mêmes préoccupations quotidiennes. Lars se disait qu’il n’avait jamais passé autant de temps avec Jasmine depuis le jour où ils s’étaient croisés, pour la première fois, devant le Bonjour Paris ! , mais le temps qu’ils avaient consacré l’un à l’autre jusqu’ici, s’apparentait davantage à une connivence de scientifiques, à une charmante complicité entre une artiste et un poète, qu’à une véritable amitié. Maintenant qu’il s’épatait sur le matelas où Jasmine s’était couchée quelques heures avant lui, et qu’il s’enivrait de cette forte odeur de musc, il en était sûr, iI ressentait cette proximité avec ses visiteurs comme une nécessité. Depuis qu’il avait quitté la rue de la Lune et Chuca, il réalisait que sa vie se ranimait sur des cendres froides sur lesquelles il ne s’était jamais donné la peine de souffler. Medved lui, ne se posait aucune question. Il voulait Unicorn, un point c’est tout. Jasmine avait dit : « si vous cherchez l’ours, trouvez la licorne ! » En attendant de la trouver, il s’occupait à des tâches purement ménagères, nettoyant soigneusement les appareils de mesure de Faber, époussetant les petits squelettes d’oiseaux ainsi que de reptiles amassés, au cours de ses différents voyages, dans des casiers de bois. Il ne rechignait pas non plus à passer un bon coup de balais, trouvant que ce bahut infect était un vrai dépotoir.
Faber ne s’était pas rendu compte qu’il bandait, et par une association d’idées qui peut paraître ridicule, et tout en examinant sa verge en érection, il pensa à Unicorn, et c’est l’éthologue, cette fois, qui pensait. A quoi ressemblait-elle, finalement, cette bestiole, quelle morphologie avait-elle ? Il ne croyait pas une seconde à cette représentation idéalisée, quasi divine, niaise, du petit équidé aux formes harmonieuses, figée encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif. Jasmine était peut-être une des rares personnes à avoir « vu » une licorne aquatique : le pirassoupi. Lars réussit à trouver le sommeil et ses dernières pensées allèrent vers les régions bénies de l'enfance, le jour de ses neuf ans, en ce matin d’anniversaire, quand sa mère lui avait offert un 45 tour où était gravé un extrait des « Lettres de mon moulin », d’Alphonse Daudet. Ce conte qu’il sut très rapidement par cœur, c’était « La chèvre de M Seguin », dit par Fernandel. Et tout en se remémorant le disque de son enfance, il comprit que lui aussi, lorsqu’il avait 9 ans, il avait vu la licorne, dans la peau de Blanchette.
« Qu’elle était jolie la petite chèvre de M Seguin ! Qu’elle était jolie, avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées, et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande. »
*
- Là-bas ! Vous voyez ce gros bouquet de chardons bleus, tout droit au fond de la Combe, c’est par là que nous nous frayerons un passage dans le bois d’Itar. Jasmine, ma chérie, dites-nous un peu ce que vous avez prévu !
- Un truc tout simple pour commencer, la danse la plus élémentaire de monde : une ronde.
- Vous avez raison ! il vaut mieux rester au contact au début – on ne sait jamais.
- Non, si je proposais cette ronde, c’était juste histoire de lâcher nos inhibitions, enfin je veux parler des vôtres, parce que pour ma part, si j’étais seule, j’attaquerais direct par un hip hop !
A SUIVRE…
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