vendredi 8 mars 2024

Un mot de consolation : Saison 2 épisode 3 et 4



 

U  N    M  O  T    D  E    C  O  N  S  O  L  A  T   I  O  N


3

La gloire de Papa


 

Papa avait fini deuxième de sa catégorie. Il prétendait (à nous autres qui n’étions que des béotiens) que c’était déjà un résultat inespéré. Puis, il nous dit qu’il attendait, dans les prochains jours, une lettre des éditions Larousse, qui offraient, aux deux premiers lauréats de chaque catégorie, un gros dictionnaire illustré en couleurs de plus de trois kg, ainsi que deux encyclopédies universelles, toutes aussi lourdes. Et, que ce n’était pas fini ! Qu’il y avait autre chose, mais qu’il voulait garder le secret, en attendant que tout se décante ; un truc inimaginable qui nous laisserait sur le cul. Le Boub avait eu beau le harceler avec tout l’arsenal dont il disposait : des baisers en chaîne, un tripotage nerveux des lourds tétons de Papa et son éternelle question: « Est-ce que ça se mange ? » Mais rien n’y fit. Le vice-champion tenait son rang, et la lettre n’arrivait toujours pas. Les jours étaient devenus des semaines et nous avions tous oublié, à force, la gloire de Papa. Pour nous, c’était déjà du passé. Il se morfondait. Il n’avait pas touché une seule grille depuis son retour, et s’était même remis à boire de plus belle. Il nous prenait à partie dès que nous l’approchions, en nous traitant d’ingrats. On nageait en plein marasme, quand un beau jour, Tonton Michel est remonté du rez-de-chaussée avec trois plis. Tonton avait toujours eu la main heureuse pour gagner des tas de trucs à des tirages au sort à la superette du quartier ou à la loterie du centre d’Action Sociale. Je suis convaincu, avec le recul,  qu’au tiercé Papa aurait dû le laisser parier à sa place, même si Tonton n'y connaissait rien en canassons ; il avait une de ces barakas, mon oncle !

Papa a sauté au cou de son frère, en lui donnant une petite tape sur la joue et s’est emparé de la lettre qui l’intéressait, celle qui portait l’entête des éditions Larousse. Il n’a même pas pris le temps d’y jeter un œil. Il paradait, nous la mettant sous le nez. Richee, lui, a seulement haussé les épaules, mais Bouboule et moi l’avons suivi jusque dans la cuisine à grand renfort de « bravo Papa ! », où il est allé retrouver Man, qui coupait des carottes avec le couteau électrique. Il brandissait la lettre des éditions Larousse. Il l’agitait comme un éventail. - Laisse-moi Claude ! Qu’est-ce que tu vas encore inventer ? Elle continuait de lui tourner le dos. - Alors, Colette, ma cocotte, qui c’est qu’avait raison ? Il savait que Man lui en voulait parce qu’il n’avait toujours pas payé la cantine du mois, et que la mairie nous avait déjà relancé deux fois.  - Alors comme ça, tu m'esquives, tu ne veux même pas savoir ce qu’elle contient ? Alors je vais te lire exactement ce qui y a dans cette petite missive ! Il arracha le couteau SEB des mains de Man et Il découpa l'enveloppe, à la puissance 1, puis chaussa ses lunettes pour lire à  haute voix :

LAROUSSE CHEZ VOUS ! 

Cher Monsieur Pardou, cher lauréat de notre grand concours. (- Ça commence bien ! ) Nous tenons encore à vous féliciter vivement pour la très grande sagacité dont vous avez fait preuve tout au long de ce concours, ainsi que pour votre prometteuse seconde place parmi les 150 candidats inscrits. Vous avez franchi une sérieuse étape dans le monde exaltant des cruciverbistes. Sachez, cher monsieur, que vous pouvez aller encore plus loin. En effet, en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, et suivant le protocole qui est d'usage chez Larousse, nous avons procédé à un tirage au sort, sous le contrôle de notre huissier de justice, Maître Gibbou, à la suite duquel il résulte que la lettre T vous a été octroyée. Nous vous proposons donc, ci-dessous, trois définitions rédigées par nos rédacteurs officiels, commençant toutes par la lettre T et que nous soumettons à votre examen. Il vous échoira de n'en sélectionner qu'une seule, mais quelle que soit celle que vous choisirez, il sera préférable qu’elle puisse entrer en résonnance avec votre activité professionnelle ou vos activités de loisirs. Bien sûr, votre décision reste souveraine. En un mot, cher monsieur, choisissez celle qui vous ressemble ! Une fois votre choix entériné, nous vous renverrons vers Monsieur Martinat, le responsable de notre service des Moyens Généraux, afin que vous puissiez vous mettre d’accord pour un rendez-vous à votre domicile où sur le lieu d’action qui vous conviendra. 

En espérant que votre réflexion soit des plus profitables, recevez cher monsieur, mes sentiments les meilleurs.

Gislain Kleinpeter, pour les éditions Larousse

Puis venait le second feuillet sur lequel figuraient les trois définitions en question :

Tambourinaire : n.m Joueur de tambour, en Provence.

Tondeuse : n.f Nom de divers instruments qu’on emploie pour faucher le gazon, couper les cheveux et la barbe de l’homme, ainsi que les poils des animaux, raser les étoffes de laine etc.

Turban : n.m (du turc tülbend) Coiffure des orientaux, formée d’une longue pièce d’étoffe enroulée autour de la tête. (Elle fut adoptée par des unités de l’armée française d’Afrique.) Coiffure de femmes dérivée de celle des orientaux.





4

Primo Lavalette 



Tout le monde avait retenu son souffle jusqu’au point final. Personne n’avait moufté. Ce qui était surtout dû au fait qu’aucun de nous n’avait pigé quoi que ce soit à cet étrange langage, pas même Papa. Un silence de mort aurait régné dans la cuisine si Man n’avait pas laissé trainer son doigt sur la gâchette du couteau électrique. Enfin, à notre grand soulagement, Papa explosa. - Mais qu’est-ce que c’est encore que ces conneries, merde ! » Man, qui lui tournait toujours le dos, s’était mise à trembler de tout son corps, en proie à une crise de fou rire. C’est à peine si elle réussit à articuler - Et voilà, tu t’es encore fait estroquer mon pauvre Claude !  Maintenant qu’elle nous avait donné le feu vert, on pouvait y aller. On avait l’immunité. On se marrait comme des canards et Papa, stupéfait, se carapatait comme il faut. Mais avant, il voulait laisser son empreinte, faire en sorte que Man ne triomphe pas complètement devant nous. Il avait eu encore le temps de gueuler un bon coup, avant de faire claquer la porte : - Il n’est pas encore né, Colette, le gars qui m’empapaoutera ! 


Cette fois, plus question de laisser faire le hasard ! Au contraire. Lui qui répugnait tant à le faire, eh bien, il téléphonerait. Oui, il téléphonera au Président pour lui donner rendez-vous au "Beffroi". Ça le sciera, le Prez. Il n’en reviendra pas. On est en pleine innovation, là ! Seul le Président pourra mettre son nez dans ce charabia et dénouera le vrai du faux, le pourquoi du comment. Il partira en quête du roi Genève, quand il aura ajusté sa précieuse casquette.



Jour d’orage. Il y a déjà foule au bar. C’est l’heure de pointe, l’heure de l’apéritif. Quand Claude pousse la porte, il est accueilli par une forte odeur d’hysope et d'artemisia, ainsi qu’une note fraîche de gentiane qui pinote dans l’air brumeux. Il a vu les anisettes engoulayer les verres rondelets et les cubes de glace danser dans les cornues comme des cosmonautes. A l’approche du comptoir, il subit aussitôt une attaque des fumées des cigarettes et des cigarillos, aspirées par l’air plus froid qui provient du dehors. Ça l’empêche de bien distinguer les gars qui sont assis au zinc. Il n’y voit plus très bien,  juste assez pour réaliser que René n’est pas assis à sa place habituelle, devant le percolateur, juste un peu à gauche de la bouteille de Martini Rosso au compte-gouttes. Bruno, le patron des lieux, lui fait un petit signe du menton pour lui indiquer le fond de la salle, entre les toilettes et la cambuse. D’où il est, Claude ne distingue qu’une silhouette noire, toute recroquevillée, la tête tombée des épaules, le reste emmitouflé dans un grand pardessus sombre qui réduit encore la taille de l’homme. Cet homme, c’est René Genève, et Claude est peut-être le seul type ici, à part Bruno Maderna, le patron, à savoir que derrière cette silhouette de petit homme accoudé à la table du fond, qui ne sert plus qu’à entreposer les journaux de la veille, se cache le type le plus puissant du quartier.



Le Président avait pris connaissance de la Lettre des éditions Larousse et après l’avoir retourné deux fois, il avait donné son verdict : - Non, je ne vois rien qui cloche… C’est la procédure habituelle, Claude. Tu es second et je t’en félicite ! Bien sûr, si tu avais remporté le concours, tu aurais pu te débiner avec l’oseille sans demander ton reste. Comme tu n’es que le deuxième, évidemment, ils te retiennent encore un peu, histoire de te faire marner ; c’est le protocole, que veux tu, si tu tiens vraiment à recevoir toute la panoplie !
- C’est que je croyais vraiment en mes chances. J’avais fait mes comptes, la victoire ne pouvait pas m’échapper, mais au dernier moment, je me suis fait coiffer sur le poteau. Et par ce Lavalette !

- Lavalette jouait dans ton concours ? Primo Lavalette ?

- Et comment ! Tu le connais ?

- Quel salopard ! il avait la liste des inscrits, encore une fois. Ecoute ! Tu sais que je ne me suis désisté qu’au dernier moment pour te laisser la place ; il n’a pas pu savoir que je ne viendrais pas. C’est impossible ! Ce qui veut dire, Claude, qu’il a eu peur et a tout simplement demandé à être reversé dans le troisième sac par l’organisation. C’est rigoureusement in-ter-dit, Claude ! tu m’entends, c’est la mort du beau jeu !
- Je t’avais prévenu, j’ai pas ton expérience et encore moins ton palmarès.
- Mais tu n’as absolument rien à te reprocher. Tu t’es simplement fait baiser par plus fort que toi. Dix ans qu’on se tire la bourre dans les salles des fêtes de France et de Navarre ! Un coup c’est moi, un coup c’est lui qui gagne ! Je suis convaincu qu’il a des combines avec des gars de la fédération, qu’il a des appuis, des passe-droits, mais comment le coincer ? Tiens-toi bien ! Un jour, c’était à Aurillac, je n’y étais pas ce jour-là, heureusement, mais on me l'a rapporté. Il était encore fringant à cette époque le Lavalette et brillant avec ça ! C’est bien simple, il bouffait tout. Eh bien, il s’est fait empéguer avec un mini-dico sur les genoux ! Et il a gardé tout son calme, il s’est pas laissé démonter. Tu sais ce qu’il a répondu pour se justifier auprès des instances ? « Ce n’est pas que je bitoure, c’est que je vérifie » Tu te rends compte le culot du mec, Claude, « Je vé-ri-fie ! »
- Le fumier ! Autrement dit, je m’suis fait mettre ?
- Sauf ton respect Claude !

 

 


Jouez-moi SVP !


                                                             

Crédits :    André Franquin, Claude Couderc, Marcel Gromaire, Jim Jarmusch's "Paterson", Winston Churchill


  Hubert-Felix Thiéfaine      

  "Un vendredi 13 à 5h"     

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