lundi 25 mars 2024

Un mot de consolation : Saison 2 épisodes 7 et 8

  

U N   M O T   D E   C O N S O L A T I O N

7



Il n’y a pas à tortiller. Le hasard est le maître impitoyable de tous ceux qui n’ont pas su rêver leur vie. C’est le repas de communion de die Mitte et de die Kleine. Colette est versée à mort dans l’eucharistie. « La petite, prophétise Tante Cécile, de passage à Tours, on pourra peut-être en faire une femme honnête, mais la moyenne, j’ai bien peur que la greffe ne prenne jamais, qu’il y ait un rejet significatif ! » 


Il y a des nappes blanches (des draps de coton vierge dont Colette se sert pour les grandes occasions), des petites assiettes dans les grandes, des couverts parfaitement alignés et des verres en pur cristal d'Arc, un pour l’eau, l’autre pour le vin. Il y a quelqu’un qui sait y faire. Et ce quelqu’un, c’est Claude. C’est ce jour-là, alors qu’il était occupé à préparer une sauce au Noilly Prat pour accommoder les Saint-Jacques, qu’on a sonné à la porte. Roffo est allé ouvrir à un facteur exténué d’avoir porté un colis en recommandé de plus de sept kilos jusqu’au troisième. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, nom de dieu ? » Roffo avait signé le recommandé, et s’était présenté devant son beau-père en plaisantant, comme à son habitude : « Génial ! Un nouveau moteur pour la Simca, papa Claude ! » Comme il savait de quoi il retournait, il a empoigné Roffo, et l’a embrassé comme s'il était le nouveau crack en chair et en os. Il a remisé le colis dans la penderie ; tout ce qu’il voulait, c’était profiter de ce repas de fête. Jamais nous ne l’avons vu aller vers la penderie, même pour y jeter un œil. Pendant deux jours, on l’a seriné à tour de rôle pour qu'il nous dévoile ce mystère. Les grands ont été jusqu’à missionner le petit dernier pour tirer les vers du nez de son père, et quand il s’est approché, Bouboule, qui avait son idée, a demandé, si ce qu’il y avait dans la boîte, était mangeable. Claude a répondu que, d’après le Président Genève, oui, ça pouvait se manger, d’une certaine manière et que c’était même rudement bon. Quant à nous montrer quoi que ce soit, rien à faire. L’après-midi, il s’est remis tranquillement à sa grille en cours puis s’est appliqué à ne plus y penser jusqu’à dimanche, jour de tiercé ; le meilleur jour de la semaine pour lui, et le seul jour où le Prez acceptait de jouer les prolongations au comptoir pour s’envoyer un ou deux petits kirs dans l’effervescence de la chasse aux tuyaux et aux pronostics.



Le dimanche matin, Claude a réveillé sa femme en lui demandant de ne pas faire de bruit, car les enfants roupillaient encore. Il l’a entraîné dans la cuisine, où, sur la table, gros comme deux poulets fermiers, attendaient le dictionnaire et l'encyclopédie. Elle était ravie et applaudissait des deux mains jointes, comme si elle priait en bégayant. Claude a tenu à ce qu’elle soit la première à découvrir cette photo où on le voit, lui, entrer dans l’immortalité. Ensuite, rasé de frais, vêtu de sa veste en tweed, et après avoir reçu un baiser de sa femme (le baiser qu’il n’espérait plus), Claude a placé le gros dictionnaire Larousse dans une valisette en plastique. C’est un énorme volume de 1680 pages reliées, avec une couverture en carton noir, imitation cuir, au dos de laquelle, on peut admirer la superbe lettrine en incrustation dorée qui contraste avec la surface granulée de la couverture. Ce L, épousant la circonférence d’un disque comprenant en son cœur, une jolie souffleuse d’une fleur de pissenlit et autour duquel est inscrite, en demi-lune, l’expression consacrée : « Je sème à tout vent ». Il tient le graal et il le sait. Bientôt, il aura rejoint Genève et ils fêteront ensemble cet avènement.


8

un chant d'amour



On ne peut pas imaginer ce qu’est une affluence de PMU le dimanche matin, jour de paris, si on n’y a jamais foutu les pieds. C’est l’ensemble de la ruche qui s’affaire, non pas pour protéger la reine, mais pour la retrouver, car le moindre turfiste donnerait cher pour avoir le tiercé gagnant, dans l’ordre. Cette fois, Claude s’est carrément jeté dans le bar comme dans le saloon de ses westerns préférés, avec l’envie de tout bouffer, de tout picoler aussi. Seulement, ce n’est pas n’importe quel cowboy qu’il cherche, mais le shérif, le shérif Genève, dit « le sobre». Il ne s’agirait pas de faire n’importe quoi, sous prétexte qu’on a sa gueule affichée sur au moins 200 000 exemplaires du livre le plus consulté après le bottin. Cette fois-ci, René est au comptoir, juste en face de la bouteille de Martini Rosso au compte-gouttes, qu’il faudra remplacer, parce qu’elle est presque vide. Nul doute que Bruno le fera, se dit-il, en approchant du comptoir. René, qui l’avait vu entrer, le fixait maintenant avec le sourire d’un homme comblé. A peine Claude l’avait rejoint, que René lui proposait d’aller « à son bureau », c’est-à-dire, à la table du fond qui ne sert plus à personne, sinon à lui-même, où il peut éplucher la presse ou inventer une grille de mots croisés. Avant que Claude n’arrive, Monsieur Wynne avait justement noté, en son honneur, une nouvelle définition sur son carnet à spirale : En huit lettres, « plus bruyante chez Saint Fiacre que chez le merlan ».
- Qu’est-ce que tu nous amènes-là, Béquille ?
- Voilà René, je te l’ai apporté.
- C’est pas celui de l’année prochaine, dis ?
- Si, parfaitement ! Comme je l’ai gagné, c’est normal que j’aie un peu d’avance.
- Je serais curieux de voir ça…
Après avoir déposé, sur le bureau de René, le gros Larousse de plus de deux kilos, Claude s’apprêtait à l’ouvrir à la page 929, celle qui nous intéresse précisément, quand René, moins nerveux sans doute, anticipe en ouvrant le dico à hauteur de la lettre T. Puis, après avoir tourné quelques pages, il tombe sur la définition du substantif "tondeuse". Il y a une photo en couleur. Cette photo, il la regarde très attentivement, alors que Bruno leur demande ce qu’ils veulent boire. - Apporte-nous deux kirs royaux, s’il te plait Maderna. Tu es splendide, Claude ! J’en ai la chair de poule. - Te fous pas de ma gueule René, je sais bien que c’est grotesque… Bruno était arrivé dans leur dos avec les verres remplis jusqu’à la gueule. Quand il les a déposés devant les deux amis, il a reconnu sans hésiter dans le dictionnaire ouvert Claude Pardou qui poussait une tondeuse à gazon de couleur rouge dans un jardin clos. Et comme Bruno est tout, sauf un délicat, il a alerté tout le monde pour venir voir ce prodige. René n’avait pas eu le courage de fermer le dico, alors qu’il en avait tout le temps. Le Président était un maître de cérémonie appliqué et ce qui, au préalable, pouvait passer pour un désagrément, s’avérait, en réalité, un passage inéluctable pour Claude, une forme sereine de cérémonie rituelle et païenne. Ils s’étaient tous rués sur le dictionnaire Larousse, mais personne n’avait osé le toucher. Ce gros dico dégageait la force irrésistible d’un livre sacré. « C’est toi béquille, ce gars-là, c’est vraiment toi ? », « Eh dit béquille t’as oublié  d’allumer une clope, dit ? C’est sûrement pas toi ! », « Mais non, c’est pas lui, c’est un mec qui lui ressemble, c'est tout ; regardez, il a même pas de béquille! » Et le président Genève approuvait en silence quand Claude, pour disperser cet attroupement, n’avait rien trouvé de mieux à faire que de payer une tournée générale à tous les turfistes ou non-turfistes du bar, dont certains le voyaient même pour toute la première fois.

                                                                                      

On l’avait autrefois baptisé « Galopin », bien avant ce malheureux accident de Solex et parce que, surtout, il avait pris la décision de ne plus boire. Après l’accident, on l’avait rebaptisé « béquille ». D’aucun, aujourd’hui, était en droit de l’affubler du sobriquet « tondeuse ». Mais ça n’aurait pas sonné terrible dans le bistrot, et puis personne n’aurait osé, surtout devant le Prez, maintenant que le mystère du dictionnaire avait rassemblé la ruche entière dont la reine avait pour nom Claude. Quand ils furent seuls, enfin, attablés à la petite table du fond, René leva sa flute en se renversant sur sa chaise. Ils ne pouvaient plus garder leur sérieux. Parfois, ils se mettaient à ricaner pendant des minutes entières et subitement, se trouvant sans doute un peu cons, ils s’arrêtaient. Claude savait pour lui-même qu’il avait accompli quelque chose mais cette photographie absurde semblait attester du contraire.  Alors, tout en sirotant son kir royal, René s’aperçut qu’il était temps de libérer Claude Pardou de son impossible irrésolution.



- Tu te souviens, Claude, de ce chant qu’on entamait autrefois, en Indochine ? Un chant bizarre ; rien de martial, au contraire, tout en nuance, en poésie sous-jacente. On aurait dit une espèce de chant d’outre-tombe … tu vois de quoi je parle ?
Claude, s’était raclé la gorge. Il ne s’attendait pas à ce revirement. Mais, il avait répondu quand même.
- « Opium »,  il m’arrive de le chanter encore, les gosses l'aime bien ; enfin, le début du premier couplet seulement. C’est tellement loin, tu sais…
- Claude, si on le chantait tous les deux ce chant d’amour, en souvenir de notre jeunesse, quand nous étions encore remplis d’allégresse et d’espoir.
Claude bu une gorgée et commença, d’abord timidement. : « Dans le port de Saigon… »
René se mit à chanter à son tour. Au début, il était légèrement en retard, mais bientôt, tous les deux furent à l’unisson.

 "- Dans le port de Saigon, il est une jonque chinoise, mystérieuse et sournoise, dont nul ne connait le nom…" 






jOuEz-mOi !




Crédits : Les premiers mots croisés de l'histoire, André Théron, Guillaume Blot, Katell Quillervé, France 3 région, Le petit Larousse

Relecture : Snow Rozett

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Gérard Manset
"Revivre"







 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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