lundi 18 mars 2024

Un mot de consolation : Saison 2 épisode 5 et 6

U N  M O T  D E  C O N S O L A T I O N

 

   5
La jalousie

Papa est complètement remonté depuis qu’il est rentré, mais il est sobre. Monsieur Genève et lui ont passé au peigne fin toutes les définitions. Il a bien réfléchi, monsieur Genève et il a dit à Papa : « Bon, le turban Claude, faut pas y compter. T’as pas la tête d’un oriental, voyons ! Moi, je te verrais plutôt avec un casoar sur le chef. » Papa avait souri, comme si il avait retrouvé ses huit ans. Il était né à Saint-Cyr-sur-Loire. « Le tambourinaire ? Sérieusement, Claude, les parisiens méprisent complètement le provincial de nos jours. Pour eux, tout ce qui se trouve sur, ou sous la Loire, c’est du plouc. Mât de cocagne, riffles, et retraite aux flambeaux…Co-ne-rie ! » Papa m’a dit que monsieur Genève lui avait demandé : « Est-ce que t’as quelque part, chez toi, un tambour, Béquille, un tambour avec un fût d’une longueur de plus d’un mètre, tenu par des bretelles larges comme des galons de colonel, avec une peau tendue de plus de 60 cm de diamètre ? Et Papa avait ouvert une bouche de poisson nettoyeur et avait répondu que si jamais il avait eu un truc pareil chez lui, vu la taille, il l’aurait échangé contre une nouvelle voiture.

                                                 


Là-dessus, monsieur Genève avait dit à Papa qu’il n’y avait plus qu’une solution, qu’il cherche quelqu’un dans son entourage qui avait une tondeuse. Puis, il avait précisé qu’il était impératif, pour la suite de l'enquète, que ce soit une tondeuse à gazon, c’est-à-dire, une machine. Mais je laisse dire Papa, qui ne veut pas s’en laisser compter : « T’en as de bonnes toi ! Moi, j’habite un F4 bis, au troisième étage, sans jardin ! Je vais quand même pas la chier ta tondeuse ! » C’est là que Papa m’a dit, qu’en l’écoutant, monsieur Genève se bidonnait, mais sans le son. C’était, parait-il, sa façon au Président, de clore les débats. Il avait persuadé Papa d’appeler Monsieur Martinat, des Services Généraux, pour lui dire qu'il avait son choix sur la Tondeuse à gazon. 

Tout ce temps, grâce à monsieur Genève, on a été mieux. Papa avait repris la gomme et le crayon et oublié l’heure de pointe. Il avait aussi réfléchi, et cherché qui, autour de lui, pouvait bien avoir une tondeuse à gazon. On s’était couchés tôt Le Boub et moi ce soir-là, parce qu’on devait partir le lendemain, de bonne heure, pour le Centre Aéré. Papa et Man dormaient tout près de nous, dans le grand lit que leur avaient payé Pépère et Mémère. Dans la nuit, Papa s’est réveillé en sueur, comme un maboul. Il hurlait : « Dédé Galle a une tondeuse ! Dédé Galle a une tondeuse ! » Evidemment, Man et moi, on a été  réveillés en fanfare ; Man, je me souviens très bien, s’est aussitôt écriée : « T’es devenu fou, Claude ? » Mais, Papa s’était déjà rendormi. Man n’avait jamais vu un somnambule, mais cette nuit-là, j’ai bien cru que Papa, par trop de surmenage, en était devenu un. Tante Cécile, de passage à Tours, avait dit que cette maladie était surtout réservée aux enfants. J’étais soulagé. Pas de risque que ça lui prenne au Boub. Papa aurait pu faire un carnage cette nuit-là, que le gros n'aurait même pas bougé une oreille.





André Galle, c’est mon parrain. Et Carmen, c’est sa femme et c’est aussi ma marraine. Jamais je ne les ai entendu s’envoyer du poisson pourri, comme le font mes parents, pour tout et rien. Je suis le roi du monde ! C’est le meilleur coup que Papa et Man aient jamais réussi : s’arranger pour trouver deux personnes qui vivent dans le même patelin, pas trop loin de chez nous, pour être parrain et marraine de leur fils ; autant vous dire que les cadeaux pleuvent. Bouboule est jaloux. Son parrain habite à Gérardmer et sa marraine est partie suivre un type, un baron des parcs d’attractions jusqu’en Guyane. Il est normal qu’il se sente désavantagé ; question cadeau ou monnaie, pour lui, c’est macache walou ! D’ailleurs, il s’en plaint, surtout auprès de Man. Il veut qu’on change ça tout de suite, que les cartes soient rebattues. Maman dit que c’est trop tard, que les papiers ont déjà été signés et qu’on ne peut plus rien y faire. Elle lui fait aussi remarquer qu’il profite largement de la générosité de Carmen et de Dédé quand ils viennent à la maison pour voir leur filleul ou lorsqu’il nous arrive de leur rendre visite là-bas, dans leur village, dont je ne me souviens jamais du nom. Oh non, je ne le demanderai pas à Man, c’est un nom bien trop compliqué pour elle, elle me ferait tromper. André, c’est un descendant d’un béké antillais, il a les cheveux crépus, le teint doré et un beau corps d’athlète. Papa qui n’arrête jamais de le taquiner, parce qu’il est jaloux, dit que les békés étaient des gens pas très clairs. Franchement, je crois que Man en est amoureuse. Comme elle le regarde ! Elle affirme qu’il est plus beau que Jean Sablon, juste pour asticoter Papa. C’est bien simple, quand il sourit mon parrain, c’est pour nous montrer toutes les touches d’ivoire d’un pianola. Un couple d’opérette, l’exubérance et la mesure en toute chose : 13 ans de mariage et pas un nuage ! 
                                                                    

Carmen ! Ce nom me rend marteau. Sa présence occupe, à elle seule, tout le livret d’un opéra bouffe, repoussant dans l’ombre tous les autres rôles, dont celui de parrain Dédé. J’en rêve. J’aime les femmes plus grandes que moi, c’est certain, c’est juré ! Elle porte toujours, au printemps, des robes à fleurs qui laissent entrevoir ses beaux genoux bronzés et j’imagine ses lolos quand je les observe à la dérobée. Ils sont tout ronds et ne demandent qu’à sortir. Faut voir comme ils repoussent très loin l’échancrure de son décolleté. Ils sont mûrs, mais pas au point de tomber comme ceux de Man. Quand Papa a décidé : « Nono, Bouboule, on va chez Dédé et Carmen ? » et qu’il a ajouté que c’était une surprise, ça a rendu le Boub aussi dingue que moi, parce qu’il était sûr qu’une fois chez eux, lui aussi serait gâté, qu’il aurait sa petite pièce, son joujou, et sûrement aussi, hélas, un baiser de Carmen. Oui, je suis jaloux ! Bien sûr que j’en ai le droit, puisqu’elle est à moi, marraine. La jalousie, ça part du ventre, dès que vous êtes en âge et ça vient vite ; ça s’ancre en vous, pour toujours !

                                                                        



 Jouez-moi !


Arthur H
" Petite reine"




Semblançay


A Semblançay, Dédé et Carmen ont une très jolie maison. Papa préfère appeler ça une propriété, ce qui veut dire que c’est bien plus grand qu’un simple F4 bis. Ce qui fait la différence avec une F4 bis ? « Mais le parc voyons Nono, le parc ! Un hectare, mon bibi, ça commence à faire ! » Moi, ce  que je préfère dans les uns hectares, et papa est d’accord avec moi, c’est le petit pré, parce qu’il est protégé par quatre murs blancs comme le premier matin, eux-mêmes coiffés de tuiles ocres, recouvertes d’une mousse verte, d’où sortent, parfois, des ferrures rouillées qui dessinent un s sur l’horizon. Il n’y a rien d’autre qu’une pelouse grasse qu’il faudrait faucher dès maintenant, répète parrain, lui qui attend depuis une bonne heure que Papa se décide.



 C’est justement là, dans le petit pré, que parrain a installé la machine. Mais Papa attend de pied ferme Monsieur Martinat, le responsable du service des Moyens Généraux. Quand nous sommes arrivés, et que papa a vu la tondeuse rouge Ferrari au milieu du pré, il n’a pas pu s’empêcher de dire que Dédé l’avait déjà mise sur les rails, voulant certainement faire allusion au boulot de mon parrain à la S.N.C.F : il conduit des locomotives. Et parrain avait répondu qu’il valait mieux qu’il s’y mette, plutôt que de dire des conneries, parce que dès qu’il commençait à plaisanter là-dessus, il allait toujours plus loin que le Paris-Tours. Mon père a dû entamer la tonte sous l’autorité de parrain, quand Monsieur Martinat est arrivé avec deux heures de retard. Il a salué André Galle en pensant que c’était lui Papa, puis il a rejoint mon père qui s’escrimait comme un fou sur le bras de la tondeuse qui faisait un potin du diable. Elle pétaradait, elle flibustait en broutant le dactyle. Très en jambes, Papa (qui n’avait pas vu que monsieur Martinat lui tournait autour) avait entrepris de dessiner des cercles concentriques sur la pelouse, exerçant une pression constante sur l’accélérateur, ce qui faisait rugir la Ferrari, tandis que le responsable des Moyens Généraux s'employait plus que jamais pour être  remarqué de Papa, qui se régalait, lui, soulevant l’arrière de la tondeuse pour qu’elle dévore plus facilement les touffes récalcitrantes, lui faisant faire des va-et-vient colériques. Quand enfin, Monsieur Martinat a compris quelle trajectoire Papa entendait faire prendre à la Ferrari, il a extrait l’appareil photo de son bel étui en cuir crème, et s’est retrouvé nez à nez devant lui. Il était à moins d’un mètre cinquante, quand il a déclenché trois fois au moins ; une fois de côté, puis, se ravisant, une nouvelle fois de trois quart, puis deux fois de face. Quand mon père a enfin pris conscience de la présence de Monsieur Martinat, il était, depuis  quelques temps déjà, dans un état second. Dans certains livres d’art ou d’histoire, j’ai pu, depuis, voir bien des illuminés qui avaient l’air beaucoup moins recueillis. Il nous a été difficile d'admettre, que ce matin-là, dans le petit pré de Semblançay, Papa avait tout simplement touché la grâce.





La Grâce
                                                 
                                           
 
   
 Crédits : Harold Lloyd, François Catar, Boniface somnambule, Jean Sablon, David Lynch, Semblançay, 
 rouge Ferrari, 
Stihl Viking it will outlive you !

Liz Taylor
*

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire