U N M O T D E C O N S O L A T I O N 5 La jalousie |
Là-dessus, monsieur Genève avait dit à Papa qu’il n’y avait plus qu’une solution, qu’il cherche quelqu’un dans son entourage qui avait une tondeuse. Puis, il avait précisé qu’il était impératif, pour la suite de l'enquète, que ce soit une tondeuse à gazon, c’est-à-dire, une machine. Mais je laisse dire Papa, qui ne veut pas s’en laisser compter : « T’en as de bonnes toi ! Moi, j’habite un F4 bis, au troisième étage, sans jardin ! Je vais quand même pas la chier ta tondeuse ! » C’est là que Papa m’a dit, qu’en l’écoutant, monsieur Genève se bidonnait, mais sans le son. C’était, parait-il, sa façon au Président, de clore les débats. Il avait persuadé Papa d’appeler Monsieur Martinat, des Services Généraux, pour lui dire qu'il avait son choix sur la Tondeuse à gazon.
Tout ce temps, grâce à monsieur Genève, on a été mieux. Papa avait repris la gomme et le crayon et oublié l’heure de pointe. Il avait aussi réfléchi, et cherché qui, autour de lui, pouvait bien avoir une tondeuse à gazon. On s’était couchés tôt Le Boub et moi ce soir-là, parce qu’on devait partir le lendemain, de bonne heure, pour le Centre Aéré. Papa et Man dormaient tout près de nous, dans le grand lit que leur avaient payé Pépère et Mémère. Dans la nuit, Papa s’est réveillé en sueur, comme un maboul. Il hurlait : « Dédé Galle a une tondeuse ! Dédé Galle a une tondeuse ! » Evidemment, Man et moi, on a été réveillés en fanfare ; Man, je me souviens très bien, s’est aussitôt écriée : « T’es devenu fou, Claude ? » Mais, Papa s’était déjà rendormi. Man n’avait jamais vu un somnambule, mais cette nuit-là, j’ai bien cru que Papa, par trop de surmenage, en était devenu un. Tante Cécile, de passage à Tours, avait dit que cette maladie était surtout réservée aux enfants. J’étais soulagé. Pas de risque que ça lui prenne au Boub. Papa aurait pu faire un carnage cette nuit-là, que le gros n'aurait même pas bougé une oreille.
A Semblançay, Dédé et Carmen ont une très jolie maison. Papa préfère appeler ça une propriété, ce qui veut dire que c’est bien plus grand qu’un simple F4 bis. Ce qui fait la différence avec une F4 bis ? « Mais le parc voyons Nono, le parc ! Un hectare, mon bibi, ça commence à faire ! » Moi, ce que je préfère dans les uns hectares, et papa est d’accord avec moi, c’est le petit pré, parce qu’il est protégé par quatre murs blancs comme le premier matin, eux-mêmes coiffés de tuiles ocres, recouvertes d’une mousse verte, d’où sortent, parfois, des ferrures rouillées qui dessinent un s sur l’horizon. Il n’y a rien d’autre qu’une pelouse grasse qu’il faudrait faucher dès maintenant, répète parrain, lui qui attend depuis une bonne heure que Papa se décide.
C’est justement là, dans le petit pré, que parrain a installé la
machine. Mais Papa attend de pied ferme Monsieur Martinat, le responsable du
service des Moyens Généraux. Quand nous sommes arrivés, et que papa a vu la
tondeuse rouge Ferrari au milieu du
pré, il n’a pas pu s’empêcher de dire que Dédé l’avait déjà mise sur les rails,
voulant certainement faire allusion au boulot de mon parrain à la S.N.C.F : il conduit des locomotives. Et parrain avait répondu qu’il valait mieux qu’il s’y mette,
plutôt que de dire des conneries, parce que dès qu’il commençait à plaisanter
là-dessus, il allait toujours plus loin que le Paris-Tours. Mon père a dû
entamer la tonte sous l’autorité de parrain, quand Monsieur Martinat est
arrivé avec deux heures de retard. Il a salué André Galle en pensant que
c’était lui Papa, puis il a rejoint mon père qui s’escrimait comme un fou sur
le bras de la tondeuse qui faisait un potin du diable. Elle pétaradait, elle
flibustait en broutant le dactyle. Très en jambes, Papa (qui n’avait pas vu que
monsieur Martinat lui tournait autour) avait entrepris de
dessiner des cercles concentriques sur la pelouse, exerçant une pression constante sur
l’accélérateur, ce qui faisait rugir la Ferrari,
tandis que le responsable des Moyens Généraux s'employait plus que jamais pour être remarqué de Papa, qui se régalait, lui, soulevant l’arrière de la
tondeuse pour qu’elle dévore plus facilement les touffes récalcitrantes, lui faisant faire des va-et-vient colériques. Quand enfin, Monsieur Martinat a compris quelle trajectoire Papa entendait faire prendre à la Ferrari, il a extrait l’appareil photo de son bel étui en cuir crème, et s’est retrouvé nez à nez devant lui. Il était à moins d’un mètre cinquante, quand il a déclenché trois fois au moins ; une fois de côté, puis, se
ravisant, une nouvelle fois de trois quart, puis deux fois de face. Quand mon
père a enfin pris conscience de la présence de Monsieur Martinat, il était, depuis quelques temps déjà, dans un état second. Dans certains livres d’art ou
d’histoire, j’ai pu, depuis, voir bien des illuminés qui avaient
l’air beaucoup moins recueillis. Il nous a été difficile d'admettre, que ce
matin-là, dans le petit pré de Semblançay, Papa avait tout simplement touché la grâce.
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