Jouez-moi !
Où s'en vont les caravelles ?
Maddy avait fait un rêve. Dans son rêve, Marielle devenait
une grande championne de natation. Et comme elle ne rêve jamais à la légère,
elle avait inscrit d’office ses deux filles dans le meilleur club de la région,
une académie qui fabrique les champions de demain : les Enfants de Neptune.
Une fois entre les mains des meilleurs entraîneurs, prétend-elle, elle améliorera sa technique et optimisera sa pénétration dans l’eau. C’est ce qu’elle croit Maddy, qui fût elle-même une excellente nageuse, d’après les souvenirs de Jo, qui en effet, l’a connue quand elle défilait en maillot de bain dans le cadre de Miss Maine-et-Loire – Cette force de pénétration ira, selon Papa, à l’encontre de toutes les règles nautiques que nous pouvons imaginer. Autrement dit, toujours selon Papa qui ne l’avait jamais vu à l’œuvre mais qui se rangeait toujours à l’avis de Jo quand il s’agissait de Marielle la sirène, quand bien même, sur une distance de 100 mètres, Marielle nous laisserait, mettons, deux longueurs de bassins d’avance, nous aurions à peine le temps de brasser l’eau du petit bain pour produire le bouillon nécessaire à accueillir nos âmes dans une solution de chlorure et de colombins. Elle aurait déjà la breloque autour du coup quand le maître-nageur tenterait de nous ranimer, nous, les petits et même Richee qui n’avait même pas son deuxième triton , lequel Richee, s’étant pris de passion pour le commandant Cousteau et son bathyscaphe, se présentait tous les mercredis sur le plongeoir numéro 4 (près des douches des « dames ») dans son slip rouge calypso, avant de sauter jambes repliées pour produire une bombe qui éclabousserait un groupe de jeunes filles qu’il convoitait.
Giovanni Bosco - sans titre-feutre sur carton 2007 |
Le Boub et moi sommes, il faut le reconnaître, bien plus prudents que Richee. Nous empruntons l’échelle du petit bain en descendant échelon après échelon, 80 cm de fond pour bien nous habituer à la faible température de l’eau. Et nous attendons en grelottant. Nous attendons Marielle, qui pour une fois, a préféré nous suivre à la piscine du quartier, plutôt que de rejoindre les Enfants de Neptune avec sa sœur Diane. Cette petite piscine toute ronde, où nous allons tous les mercredis après-midi pour faire n’importe quoi, sauf pour nager. Le Boub vient de tenter, sous les yeux de deux grosses dames à bonnet incrusté de fleurs en relief, un poirier audacieux. Il essayait de garder l’aplomb de ses jambes quand, se noyant sans doute, la figure, qu’il espérait nous proposer, échoua lamentablement, et il alla s’avachir sur l’une des grosses dames, les pieds devant. Il était en train de se faire passer un savon, quand je l’ai vue, elle, sortir des douches, en sautillant méthodiquement dans le pédiluve.
Une piscine Tournesol quelque part en France |
Elle apparaît dans un
maillot de bain une pièce, bleu marine, avec deux fins liserés blancs courant sur la ligne des hanches. En
imprimé à hauteur du bassin, une série de losanges blancs en incrustation. Le
maillot de bain sombre, qui souligne nettement sa silhouette juvénile, contraste
avec la pâleur de sa peau. Elle porte sur la tête un bonnet de bain gris clair bien ajusté sur les oreilles. Trois losanges bleus, comme une héraldique, sont floqués de chaque côté du bonnet.
Marielle ne s’inquiète pas de la foule qui a investi le bassin. Elle passe le clair de son temps à nager en apnée, au fond, près du sol carrelé, bien en dessous de la cressonnière et du ballet nerveux des jambes serpentines.
- T’avais promis que tu nous ferais voir comment on fait un virage sous l’eau, comme les vrais champions, hurle Bouboule, pour se faire entendre.
-
Oui,
je vous montrerai ça toute à l’heure. Mais avant, faut me montrer comment vous
nagez tous les deux. Je veux voir si vous avez fait des progrès depuis la
dernière fois, d’accord ? Commençons par le plus simple, la brasse vous
savez faire ?
-
Bah !
tiens, répond le Boub fièrement, et il ajoute, mais je préfère le crawl !
-
Et
toi Jean, tu sais ?
-
Oui,
la brasse, oui. Mais ça s’arrête là.
-
Tu
parles ! il nage comme un chien !
-
Va
chier Bouboule !
Marielle ne peut jamais
s’empêcher de rire quand on se prend le bec. Ça l’amuse toujours, et ça suffit à nous calmer,
du moins, à ne pas en venir aux mains. Sa seule présence faisait de nous des
garçons plus fréquentables. Elle nous propose de partir devant. Elle, fermera
la nage. Mon frère, sûr de lui, s’immerge le premier dans le jus d’enfant, et
moi, sans manquer de jeter un dernier coup d’œil sur elle, qui ressemble avec
son bonnet de bain gris métallique à une créature abyssale, je gigote prudemment
vers le grand bain, essayant de me faire un passage parmi l’armada des baigneurs
immobiles. Je m’applique car je la sens toute proche derrière moi quand, en
un éclair, elle vient à ma hauteur.
- Jean, tu
ne sais pas faire la brasse coulée ?
- Non !
mais, c’est quoi la brasse coulée ? C’est quoi Marielle ?
Sans répondre, la voilà qui plonge à pique grâce au mouvement secret de ses fesses, que j’ai juste le temps de voir disparaître. Et ses pieds vont suivre, en observant un léger moulinet avant de quitter la surface dans juste ce qu’il faut d’écume pour justifier qu’elle était là, trois secondes avant. J’attends qu’elle remonte ; je regarde devant, je fais un tour sur moi-même, je regarde derrière. La sirène a disparu. Je regarde devant moi à nouveau, j’aperçois à quelques distances, Bouboule qui en termine avec sa longueur. Je vais regagner le bord du bassin. De là je pourrais mieux la voir rejaillir. Mais il y a tellement de monde dans l’eau qu’elle peut réapparaitre n’importe où, sans que je m’en aperçoive. Je me soulève à la force des bras pour reposer sur mes coudes au bord du bassin. Les yeux me brûlent et je crois les soulager en suivant la mosaïque bleue du carrelage qui miroite, quand je sens quelque chose qui me frôle sous la surface et s’agrippe à ma taille. Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui m’arrive, quand je me retrouve le slip baissé sur les genoux, le cul nu. Le corps fuselé de la créature abyssale s’arrache soudainement de l’eau, tel le diable sortant de sa boîte - mais le diable sait il nager ?
Me vient alors cette image surprenante : le commandant Cousteau sortant de son bathyscaphe sans son précieux bonnet. Je remonte mon slip comme je peux. Je ne suis pas un enfant de Neptune, moi, encore moins un des hommes d’équipage de la Calypso. Elle est là, près de moi sur le bord, adoptant ma position, battant légèrement des jambes à la surface. Elle souffle.
Je me replonge soudainement dans le bel après-midi d’hier,
dans la chambre de Tonton qui a un électrophone stéréo. Nous avons dû nous hisser
tous les deux sur le lit géant de mon oncle, si haut, qu’une fois assis, nos
pieds ne touchaient plus terre. Nous écoutions le disque de Luis Mariano que je
tenais à lui faire entendre. Je voulais l’entraîner dans la chambre de Tonton
pour écouter « le chanteur de Mexico ». Je voulais me retrouver seul
avec elle. Marielle écoutait attentivement en souriant, la grande pochette du
disque sur ses genoux blancs, regardant attentivement le visage de Luis, quand elle
tournait son visage vers moi pour me dire que je lui ressemblais, et qu’elle le
trouvait beau. Moi, je ne voyais que les oreilles de Luis qu’il avait aussi
grandes que les miennes, et toutes aussi décollées. C’était la seule
ressemblance que je voyais entre nous. C’est quand elle s’aperçut que je me
troublais, qu’elle m’embrassa à la dérobée.
-
Ouf !
Je crois bien que j’ai battu mon record. J’ai bien dû passer plus d’une minute
sous l’eau, non ?
Je ne trouve rien à lui dire. Je vais plutôt regarder de l’autre
côté, en direction de la ligne d'eau n°4. De là je verrai le Boub se tenir à la
barre du plongeoir pour reprendre son souffle, ce sacré Pierrick qui n’aura
pas mis longtemps à couvrir les 25 mètres, malgré la foule. Je verrai Richee se réjouir d’une
pareille aubaine, et grimper encore sur
le plongeoir n°4 (sous le haut patronage de La
Coustaille*, comme l’appelle Papa), au-dessus d’un Bouboule éreinté, qui
protestera quand il comprendra que son frère s’apprêtait à lui tomber dessus en
larguant la plus grosse bombe de sa vie.
-
Tu
m’as cherchée ? Dis-le !
-
J’ai
eu peur que tu t’es noyée. Mais pourquoi t’as fait ça ?
-
Pourquoi
je t’ai déculotté ? J’en sais rien. Quand j’étais au fond, tu vois, j’ai
trouvé que c’était encore toi qui avais les plus belles fesses de la piscine.
- T’es complètement siphonnée, toi !
- Oh ça, oui !
-
Crédits : Luciano Berio, Cathy Berberian, Luis Mariano, Wes Anderson, Bill Murray
* Le commandant Cousteau
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