dimanche 19 mars 2023

Johny Halliday, "el que se cusco pel sol"

 

                  Johnny Halliday                  EL QUE SE CUSCO PEL SOL



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Que je t'aime

 

J’ai fait un rêve bien étrange cette nuit, et me suis réveillé très troublé au matin de ce 18 septembre 1999. J’ai rêvé que Johnny Halliday me posait une question dans un lieu qui ressemblait vaguement à un théâtre. Une question terrible, à laquelle personne dans mon entourage, je crois, n’aimerait répondre sans laisser planer un doute. Johnny souhaitait simplement savoir si je l’aimais bien ! Et pour me mettre encore plus mal à l’aise, le salaud, il me disait : parce que moi, je t’aime bien… Il ne me laisserait pas partir avant que je lui aie répondu. D’ailleurs, pour arriver à ses fins, il avait fait un léger signe à ses trois colosses qui s’étaient montrés en coulisses. Non seulement je lui disais que je l’aimais bien de même, ce qui n’est pas tout à fait vrai, mais pour ne pas me faire dérouiller par ses hommes de main, je lui avouais carrément que je l’aimais ! Au réveil,  décontenancé, je me suis demandé ce que pouvait bien signifier ce rêve et pour me détendre, j’ai décidé de prendre une douche ; mais avant j’ai allumé la radio. J’ai mis le curseur sur France Info, histoire de replonger dans la vie dure ; mais la véritable raison de cette douche, ainsi que celle d’écouter cette station, était que je voulais chasser à tout prix ce cauchemar de ma tête, quitte à le remplacer par un autre. Ce n’est pas les cauchemars qui manquent sur France Info. Mais à peine étais-je entré dans la cabine, que je fus la proie d’une terrible angoisse. 

Jouez-moi !


Egon Schiele Eros (self portrait) 1911


L’eau ruisselait sur mon corps. Alors, pour me détendre tout à fait, j’ai entrepris de me branler, doucement d’abord, en pensant à la coiffeuse de Saint-Algue qui m’avait fait profiter de ses formes généreuses, alors qu’elle se penchait pour me tailler les sourcils, puis sous l’effet de l’eau chaude qui me bombardait la tête, j’ai décidé d’accélérer la cadence en me rabattant cette fois sur l’adjointe à la culture de la mairie du Blanc, dont j’aimais le cul brillant et qui m’était apparue comme ça, chassant la jolie coiffeuse, sans que je me rappelais l’avoir convoquée dans mon usine à fantasme. J’étais sur le point d’aboutir à un résultat somme toute modeste, quand je l’ai entendu. J’ai entendu Johnny qui chantait sur France Info « Que je t’aime ! » C‘était encore lui. Mais je n’ai pas voulu lâcher l'affaire pour autant ; en cas de coup dur, j’ai toujours ma botte secrète : Virginie Machavoine, une danseuse sublime que j’ai vue récemment dans « Casse noisettes » sans musique, et avec laquelle j’étais en grâce. Je n’ai jamais raté une seule joyeuse en sa compagnie. Johnny chantait « Que je t’aime », et moi je faisais passer Virginie à l’épluche légume de ma fantasmagorie. Je me voyais en danseur étoile, prenant la Machavoine lors de portés audacieux, pour ne pas dire obscènes. Je l’imaginais carrément jouer avec mes noix et s’essuyer ses chaussons sur ma pine chantournée qui distendait mon collant gris. Ce fut un triomphe ! Tout en me séchant, je songeais très franchement à la fondation d’une amicale de la branlette, une amicale de quartier pour débuter, où je voyais mon voisin Luc se branler, lui aussi, aux accords passionnés de notre hymne : Que je t’aime ! « Branleurs de toute la Brenne, munissez-vous ! » étaient les seuls mots d’ordre. Les adhérents devaient fatalement se bousculer au portillon, transformant l’amicale en une véritable internationale, à tel point que ma petite entreprise m’échappait complètement et devenait incontrôlable ! Ainsi à Montréal se montait l’association « La turlutte sauvage », à Abidjan, on pouvait adhérer à « La veuve noire », à Bruxelles, « A la divine joyeuse », et à Cardiff, à « L’occase du poireau ». 

Regardez-moi !



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 L'Idole


Du côté du viaduc, le ciel pommelé observait une trouée, plongeant de temps à autre, notre vieille étoile dans un lagon céruléen, où elle semblait, elle aussi, se détendre. Il faisait très doux. Il était déjà tard et je m’étais fait la réflexion que d’habitude, à cette heure-ci, Francis était déjà rentré et le gosse aussi. Charles-Edouard ne faisait pas attention à moi. Il se traînait sur le sol poussiéreux, tantôt assis, tantôt sur le ventre, autour des crottes lâchées toute la sainte semaine par Idole, et qu’il embrochait une à une avec des petits bâtons. Une fois, Luc était venu sur le pas de sa porte pour le lui faire reproche : Johnny ! Johnny, bon dieu, te roule pas par terre comme ça, c’est dégueulasse par là, va jouer plus loin, ici c’est caca ! Mais Charles–Edouard se contentait de le regarder droit dans les yeux, avec son rictus glaçant, qui semblait dire à Luc : «  Viens jouer au caca avec moi, Luc ! » Au casting de Shining, pour incarner l’une des jumelles, Charles-Edouard aurait eu toutes ses chances. J’avais laissé ma porte béante pour faire entrer la chaleur et avais tiré le rideau sur ce désolant spectacle, laissant le petit Charles-Edouard à la poussière et à l’étron. Quelques fois, me parvenaient des bribes d’un conciliabule entre Christine et Luc, à l’examen duquel je sentais sourdre une vive inquiétude : « toujours pas rentré… pas normal… même pas téléphoné… sans doute arrivé quelque chose, que déjà, Luc tempérait avec des : T’inquiète…Vendredi… du monde sur la route… coups avec les copains…n’aura pas vu l’heure passer ! Tu sais comme il est …T’aime ». Christine présageait quelque chose de pas bon du tout. Elle ne s’appartenait plus. Elle gueulait après son fiston qui s'amusait comme jamais. Johnny, connard ! Ton short tout propre de ce matin. Lève-toi, sinon j’ te fais bouffer tes brochettes, t’as compris ? T’es le même que ton père ; ça, pour vous foutre dans la merde, hein ! Elle pleurait. Putain, il m’a même pas prévenue le salaud. Tu te rends compte Luc ? Ça coute pourtant pas grand-chose un coup de fil à sa femme ! Luc l'avait accueillie entre ses maigres bras. Christine était restée longtemps à faire les cents pas de la rue à la cour, bien décidée à ne pas laisser filer cette nuit fatale.

Jouez- moi !



Je devais déjà roupiller depuis une bonne heure quand les phares d’une voiture sont venus éclabousser toute la chambre. On y voyait comme en plein jour ; un vrai Luna Park ! Je me tirais du lit prêt à envoyer du poisson pourri au fumier qui avait fait ça, quand je reconnu la camionnette de Francis, aux couleurs de la SMAC, qui faisait son habituelle manœuvre pour se garer et se remettre dans le bon sens avant de reprendre le boulot lundi. Il était copieusement coinché car on envoie pas sa portière valdinguer comme ça, passée une heure du matin. S’étant muni de sa sacoche, il se dirigeait, confiant, vers le doux logis sans penser à éviter la merde d'Idole. Au début, il s’y prit discrètement en tapotant à la porte, mais quand il comprit que personne ne répondrait, il entreprit de tambouriner plus énergiquement. Comme ça ne venait toujours pas, il  employa les grands moyens, ceux qui viennent du cœur : Christine, Christine, ouvre ! C’est moi, c’est Francis, ouvre, tu m’entends ! J'suis fatigué, Cricri chérie, tu vas m’ouvrir, j’veux pas réveiller le p’tit. Allez ouvre à ton Françou, cocotte ! Au bout de quelques secondes, au cours desquelles, nous étions à l’affût du moindre geste, du moindre rebondissement, Christine sortit de sa rabouillère. Non ! J’t’ouvre pas connard. Ca va faire des heures que j’t’attends, t’étais où ? Christine, ouvre, te demande pardon. On a fêté le pot de départ de Mario ; on a arrosé ça, c’est tout, pas grave, ouvre-moi ! Mario mon cul ! Retourne dormir chez ta pute. A présent, toute la cour en profitait. Y a pas de pute, chérie c’est vrai merde, j’vais t’expliquer ! Non, t’es un salaud, t’aurais pu me téléphoner ! Christine, ouvre putain ! J’ai envie de pisser, là. J’vais quand même pas pisser dans la cour ! On a  entendu la clé tourner dans la serrure, et avant d’ouvrir, Christine a dit : J’te préviens, salaud, tu réveilles pas le petit, parce qu’y dort. Et au moment d’ouvrir, quelque chose a déboulé entre les jambes de Francis, quelque chose qui se carapatait dans la nuit. Francis a compris qu’ils avaient laissé partir la chienne. Il a hurlé comme coyote en plein midi, Idole ! Idole ! 

Chien pissant sur son matricule Paul Rebeyrolle 1973





 

El que se cusco pel sol



Les matins dans le Berry en cher peuvent être redoutables en automne. Janeck m’avait raconté cette histoire de jeunesse, alors que nous remontions les rangs de vignes, au lieu-dit « les Roulottes », une pièce située au creux d’un cirque dans les collines du Sancerrois, entre Bué et Reigny. Il me l'a racontée alors que nous vendangions dans le petit matin frisquet et que le soleil peinait à se hisser au-dessus de la colline . Je ne sais pas comment Johnny Halliday est arrivé sur le tapis, mais toujours est-il que Janeck, le meilleur vendangeur que j’ai connu, s’est replongé, ce matin-là, dans ses 20 ans, en 1961.

Quand nous sommes arrivés sur cette place, mes copains et moi, les vieux de Ferrières étaient déjà sous les tilleuls en train de fumer et de jouer à la canasta, tout en se racontant des histoires ou en commentant les nouvelles. A l’époque, tous les vieux parlaient encore occitan, même en ville. Chez nous on le parlait à table quand mon père décidait qu’il était temps de nous amuser un peu. A un moment, tous les anciens se sont fendus la gueule quand le doyen qui s’appelait Alberic a commencé à parler d’une vedette qui devait venir à la salle des fêtes de Foix pour se produire sur scène « avec toute la clique » avait-t-il ajouté. Quand les autres ont demandé qui c’était, Alberic a répondu que c’était l’idole des jeunes. Moi bien sûr j’ai compris qu’il parlait d’un certain Johnny Halliday, un chanteur des yéyés que je trouvais plutôt cash, mais qui n’avait aucun avenir pour moi, même s'il rendait les filles complètement dingues et les gars aussi. Un copain d'Alberic voulut savoir quel était le nom de ce type qui allait encore nous foutre le tambus à Foix et le vieux lui a répondu : mais tu sais bien voyons, l'autre madure-là : « el que se cusco pel sol *»



 

*« Celui qui se couche par terre ! »

                    

                                                                      Roulez jeunesse !

                                                                                


Crédits musicaux :  FédoTchaïkovski, Johnny Halliday, Pond 

  Relecture : Snow Rozett

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