samedi 8 octobre 2022

Nuit Pinder : Fin

 



"Pourquoi nous appelle t-on les voleurs ? Nous qui sommes les gardiens du corps de Diane dans les forêts, les chevaliers des ténèbres, Les favoris de la lune."
 Otar Iosseliani


Nuit Pinder

2


Les murs, je les vois se déformer à mesure que Papa ronrgle. Il peut tordre l’espace grâce au volume que dégagent ses orgues maléfiques. Les parois s’arrondissent sous la pression ! J’ai devant moi, sous les étoiles, la closerie Falbala. Tout ce qui nous entoure, Noxe, Marmin, les filles, Bouboule et moi n’est plus qu’une immense chambre d’écho. Pour comprendre ce qui se joue à l’intérieur de cette contrebasse de la misère, il faut considérer le poids des  responsabilités qui écrase Papa, sa voix qui ne compte déjà plus dans le monde réel, et qui déroule pour un instant le chant poignant de son irrésolution. Papa nous fait bien comprendre, qu’à l’instar de Max, il est une voix dans la nuit. Que si le jour, il n’existe pas, la nuit, il triomphe. Noxe et Marmin ne l’entendent pas de cette oreille, le concert du prolo a réveillé leurs instincts de chasseurs casseurs. Il a jeté l’opprobre sur leurs velléités amoureuses. L’Amok s’est emparé de la bande. Les filles se sont changées en furies et réclament auprès du caïd justice et châtiment. Finis les mamours, place au lynchage. Ça va chier pour Papa et les petits chéris.

Un premier projectile a été envoyé alors que papa atteignait le contre-ut parfait. Un choc mat sur le volet en plastique, et c’est à ce moment que j’ai commencé à avoir peur. Les filles fulminaient, elles criaient « ta gueule gros porc ! » Elles encourageaient les gars et les gars s’employaient. Le second projectile n’a pas tardé à suivre et il devait être bien plus gros que le premier. Je me rappelle que cette fois, je me suis mis en colère, pas contre la bande, non, je me suis mis en colère contre Papa, qui entamait son allegro furioso.



Jamais ! Jamais je n’ai envoyé un de mes nounours guerriers sur Papa, jamais je n’aurais osé faire ça. Ce n’est pourtant pas l’envie qui m'a manquée, mais ma frustration ou ma colère ont toujours vu en Bouboule un exutoire idéal. C’est donc très injustement que j’ai envoyé mon dinosaure Casimir dans la gueule de mon frère; je soupçonne les maîtres de la balistique d'être tous des insomniaques. Une fois encore, Bouboule reçut le dino sans broncher.

Mais suis-je donc le seul à voir ce fléau s’abattre sur nous avec mes nouveaux yeux, mes yeux de lémuriens ? La guerre est faite pour ceux qui se sont préparés à la voir. Le donjon est assiégé, les projectiles pleuvent sur nous. A travers la meurtrière, la lune bouglione sournoisement. Noxe aura sûrement acheté cette face gibbeuse, cette traîtresse, avec le butin de Fati. Mais le bouclier anti-guerre des étoiles que papa avait préparé, en vue de cette razzia, nous protège encore. « Alléluia ! » ai-je cru entendre dehors, quand Noxe a plutôt lancé un rageur « allez-vous faire enculer ! », que papa a accueilli avec un redoublement de trilles. Les ondes émises de la gueule de Papa se propageaient maintenant à la vitesse d’un banc de krills sur toute l’aile gauche de la barre HLM, réveillant jusqu’aux plus lointaines légions de ronrgleurs. La superstructure du bâtiment menaçait de s’effondrer, quand soudain : le miracle ! Tout ne fut que silence. Le bouquet final qu'avait allumé Papa avait gagné le cœur de Sélène, cette piste aux étoiles. Nous étions bel et bien les nouveaux favoris de la lune.

Paul Delvaux phases de la lune II 1941



C’est l’odeur du pain brûlé de Tonton qui m’aura réveillé, à moins que ce ne soit à cause de ce soleil obèse, qui s’étant gorgé toute la nuit de l’autre côté du monde, était revenu digérer son gueuleton de la veille, ici-même, pressé de faire son rôt extraterrestre. « Abdulhah ! » 

Se saquer du lit au plus vite avant que Bouboule et Ritchie n’aient tout bouffé. Je m’aperçois que mon armée de nounours a regagné la base et s’est repliée tout autour de moi, avec toutefois, quelques unités « ennemies » en plus. Certainement les chiens de Bouboule. Anesthésié comme je l’étais, je n’ai sans doute pas souffert. Le sommeil profond ressemble à une remise de médaille qu’on épingle sur le veston d’un brave dont le jeune cœur ne bat déjà plus.

Le fumet du chocolat de Maman, si noir, si velouté, m’encourage à mettre un pied sur mon échelle de lit, et je me retrouve face au mur. Sur le moment, je ne comprends pas ce que je vois, puis, comme dans un film, tout me revient. Ce n’était pas un rêve ! Il y a trois impacts de terre séchée accrochés au mur. Trois taches parfaitement alignées, comme pour augurer de cette dernière parade, dont seul Papa avait la clef, cette même clef qui ouvre la cage aux fauves et celle du dompteur. 

 Je retrouvais les autres dans la cuisine, Maman, déjà affairée à éplucher les légumes pour le midi, Tonton qui s’en roulait une, Bouboule qui boulotait son croissant Danerol, mais pas Ritchie, déjà parti travailler au kibboutz. Une fois à table, je me mis à regarder attentivement Papa qui venait juste de faire son apparition près de la cafetière, où il se tenait généralement, accoudé au plan de travail; un petit entraînement avant d’aller retrouver le comptoir de son bar attitré. Je regardais Papa qui ne semblait rien soupçonner de ce qui s’était passé la veille, manifestement, il avait très bien dormi, il avait rechargé les accus comme on dit; il était frais et sirotait sereinement une dernière chicorée, concoctée par Maman, avant de partir pour son rallye quotidien. Il avait déjà la casquette sur la tête (ce qui signifiait un départ imminent) et il fumait sa gauloise, et la fumée jaunâtre qui s’en échappait était absorbée par son œil gauche qui pleurait et s’était refermé pour toujours, semble t-il, car il calait toujours sa cigarette du même côté. Il toussa une bonne fois et me prit à parti :

- C’est quoi Nono ces mottes de terre au-dessus de ton lit ? D’où ça vient ?

- Je sais pas P’pa !

- Ah ! Dis pas de bêtises Nono ! Je le saurais tu sais !

Maman intervint et prit ma défense, comme d’habitude.

- Claude ! Laisse le p'tit tranquille il t’a rien fait !

- Colette te mêle pas de ça ! Tu pourras la ramener quand tu reviendras dans not' lit.

Maman resta coite.

- Bouboule je me retourne vers toi en ami. Dis la vérité à Papa.

- Le Nono il me bombarde de Nounours quand je dors !

- Lui il a rien entendu ! Il dormait ! Tout le monde dormait !

- La nuit c’est fait pour dormir Nono ! Est-ce que tu sais ça ?

- Mais on a été attaqué P’pa ! La bande à Noxe nous a balancé des boules de terre toute la nuit !

Un temps

- C’est qui ce trou du cul ?

C’est le moment que choisit Maman pour expliquer à Papa ce que je n’aurais jamais su lui expliquer moi-même, le fait indéniable qu’il ronrglait comme personne, et que c’était une des raisons pour laquelle, elle ne voulait plus dormir avec lui, quitte à nous sacrifier, nous, ses pauvres petits chéris et à nous laisser perdre le sommeil, ainsi que le fil de nos jolis rêves. Papa en fut très vexé et nous donna sa propre vision des choses, à Maman et à nous. Il nous dit simplement qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule explication : que ses soi-disant ronrglements dont on l’accusait n’étaient que l’expression vivante et sonore de son activité cérébrale, ce qui plongea Tonton dans une profonde réflexion. Et là-dessus, il s’en alla.


                                          

                                       Jouez-moi SVP                              


 

   



 







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