Deux histoire inédites de Snow Rozett |
Les ongles
Ils étaient longs, ils étaient larges, ils étaient brillants,
rouge vénitien.
Ils étaient dix et j’adorais les regarder.
Les ongles de ma mère.
Qu’ils déplient un carnet pour remplir un chèque, qu’ils
épluchent un kilo de carottes, qu’ils se hissent en pattes d’araignée pour
contredire mon père, qu’ils nous menacent sans menace pour nous faire obéir,
qu’ils ferment un livre, qu’ils caressent un homme que je ne connais pas. Qu’ils….
Quoi qu’ils fassent, je voulais que les miens soient les
mêmes plus tard, quand j’aurai l’élégance de les porter et l’aplomb de les
assumer.
J’attendrai.
J’en ai dix, dix ongles rongés et dix années pleines. Une
seule solution : le camouflage ou un mot du jour : l’intox.
Ma cousine et moi, on livrait leur commande à la boucherie à
toutes les personnes qui ne pouvaient ou ne voulaient pas se déplacer pour leur
nourriture du quotidien, le Drive avant l’heure, c’était elle et moi. Sacs en
main, ongles en carton au bout des doigts, on partait, à pied, l’Uber Feet du
futur.
Mais là n’est pas le propos. Construire chacune 2 pouces, 2
index, 2 majeurs, 2 annulaires et 2 auriculaires, les découper, les colorier et
choisir la bonne couleur, celle qui sera pérenne autant que résistera le
carton, les scotcher, et en fin de compte les lustrer avec du gras de jambon,
seul brillant auquel nous avions accès, c’était un travail pendant lequel nous
tirions nos langues.
Embellies des mains et tenant nos sachets de viande à livrer
avec les bouts de doigts recourbés vers l’extérieur afin que le carton ne plie
pas, nous arrivons chez la cliente de mon oncle boucher dans un petit immeuble
de l’avenue de Paris. La porte s’ouvre sur une femme mûre mais revêtue d’une
nuisette très décolletée avec quelques plumes roses au col et des mules aux
pieds sur lesquelles les plumes du col avaient l’air d’être tombées ?
Espérait-elle que ce soit mon oncle qui la livre ? Pas de chance, elle a
beau vouloir avoir l’air belle, nous lui tendons sa commande avec nos ongles
crasy horsés, elle ne fait pas le poids.
Babar
Rue Albert Aurier, rebaptisée Rue Jean Zay depuis, c’est là,
dans un immeuble à 10 entrées que nous habitions, ma cousine entrée D, nous
entrée A.
Face à la bâtisse, un terrain herbeux et au fond, les fils à
linge et « les pierres » : 4 ou 5 blocs posés contre un mur et sur
lesquelles on se rassemblait, plutôt les jeunes. Un gardien nommé AUBARD, s’occupait
de l’immeuble et de tuer les chatons errants rassemblés dans un sac poubelle en
les assommant contre un mur des caves.
On l’appelait Babar, il nous faisait peur, nous coursait dans
les couloirs noirs où nous avions nos jeux d’enfants terribles des H.L.M.
Là, la cave des tortures où nous avions posé des flacons
ornés de tête de mort et marqués « acid »… contenant de l’eau mais
qui nous faisait hurler, quand, une fois prisonnière des jumeaux, ils nous en
versaient le contenu sur le visage.
Là, la cave des bisous, où nous étions obligées d’embrasser
notre geôlier.
Là, celle aux assiettes pilées, sol sur lequel on devait marcher
pieds nus.
Notre monde sous terrain.
Notre immeuble, où s’aventuraient parfois quelques étrangers
au lieu, nous narguant, tentant de nouer un dialogue que nous ne voulions pas.
Je toise l’un d’eux qui me chope par le col et me soulève à 10 cm du sol, il me
colle contre le mur de l’entrée E, du tac du tac je lui sors « mais t’es
paranoïaque » et me lâchant lourdement il me répond « j’suis pas
paranoïaque j’suis français ! » Même les jumeaux ont éclaté de rire,
nos étrangers ne sont pas revenus.
Il y avait aussi les journées « Effrayer les méchantes
vieilles », alors là tout un travail en amont, repérer les collants filés
de nos mères, la poubelle où ils étaient jetés et les récupérer sans témoin.
Ensuite, ça roulait, plus qu’à enfiler le bas sur la tête, filer aux portes des
méchantes, sonner, faire « Ouah » et courir… Les méchantes étaient
punies et devenaient encore plus teigneuses, nous étions comblées.
Enfin, pas longtemps, une des méchantes vieilles m’avaient
repérée, était allée sonner chez mes parents incrédules. Après une bonne volée,
j’ai intégré ma chambre en serrant les dents et en fomentant un châtiment à la
hauteur de la délation.
"Chaussons-prospectus" Poscas sur toile 80 x 100 cm Nunki Bartt |
De belles histoires d'été à lire sur une plage où de charmants démineurs tout juste sortis de centrale jouent avec de curieux châteaux de sable. Snow Rozett a l'ongle long et la plume féroce. On en redemande, dans l'onglet si possible.
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