Unhappy Christmas
Par Snow Rozett
« Fils de bourgeois ou fils d’apôtres, fils de César ou fils de rien… » on a tous au moins un souvenir d’enfance heureux d’un noël en famille. Je crois que j’en ai mais je ne m’en souviens pas.
Je me souviens de la nuit d’avant, toute cotonneuse, fébrile, retenant le sommeil pour entendre le gros passer par la cheminée, des chaussons de mes sœurs et de ma cousine bien rangés sous le sapin, je me rappelle une boule de noël particulière, très grosse, transparente avec un chalet à l’intérieur, mise en hauteur pour pas qu’on y touche. Puis ça partait à vau-l’eau.
Pourtant ça sent bon dans la cuisine, le pain frais coupé, la sauce de la viande rôtie, l’ail dans les légumes, les fromages affinés, le chocolat et le beurre des desserts, pourtant ça part toujours bien.
Mes 2 mamies sont belles, en couleur, du rouge à lèvres aux chaussures, la mise en pli récente, elles s’entendent bien. Elles sont rondes comme la dinde. Un gros tablier bleu enserre leur grande taille et froisse leur robe, vu de derrière ça ne va pas, chacune un gros nœud qui rebondit sur leurs fesses. Il faut dresser la galantine de volaille dans les plats en inox, couper le foie gras, mettre la gelée dans des petits pots, griller les tranches de pain de seigle, sortir le lourd plat du four, arroser la viande, la retourner, la réassaisonner, remuer les légumes, baisser le feu, préparer la sauce de salade : vinaigre blanc et gros sel, installer les fromages sur une planche, trouver de la place dans le frigo bondé pour les gâteaux…
Les filles sont là aussi : ma mère, mes 2 tantes et la femme de mon oncle du Canada, elles n’ont pas de tablier et rivalisent de sautoirs scintillants sur leur décolleté, elles paraissent beaucoup plus grandes que mes mamies parce qu’elles ont mis des talons, elles parlent fort et toutes en même temps, elles rigolent, elles demandent si elles peuvent aider, « ça va aller les filles, allez boire un verre avec les hommes ! ».
Mes 2 pépés sont en costume sombre avec une chemise et une cravate, mon pépé Dédé je ne le vois comme ça qu’à noël, ça lui va bien. Ils sont ronds comme leur femme. Ils parlent de vin, Bordeaux pour l’un, Bourgogne pour l’autre, les bouteilles de chaque clan sont posées sur le grand meuble derrière la belle table, prêtes à être dégainées tout à tour…
Les garçons sont là aussi, mon père et mes 2 oncles, mon père pour le costume j’ai l’habitude, mon oncle du Canada on dit ça parce qu’il y a vécu, il ressemble à Zorro mais mon parrain boucher ça le change. Ils ont déjà bu un peu alors ils parlent fort autant.
Mes 2 sœurs, ma cousine et moi on a presque la même tenue, des robes longues à fond bleu marine avec des petites fleurs et des manches ballon, des vernis aux pieds, on a aussi les mêmes bonnets : couleur marron ours avec 2 sangles sur le côté ornées chacune d’un gros pompon au bout, on a la même frange, bien droite et coupée haut au-dessus des yeux. C’est ma mère qui s’en occupe, elle était coiffeuse. Nous on mangera dans la cuisine quand ce sera débarrassé, en attendant, on passe d’une pièce à l’autre, on ouvrira nos cadeaux au dessert, c’est loin. Mamie Simone me demande si je veux goûter la sauce sur un bout de pain, j’ai l’habitude. Pépé Dédé, il me froisse la frange et me dit que je suis bien jolie dans ma robe. Ça part bien.
Pour notre apéro, il y a 4 Orangina débouchés sur la grille du haut dans le frigo. Notre table est mise et les grands sont au Martini rouge, au Guignolet, à la Suze et au Ricard, enfin pas tout pour chaque mais chacun son préféré. Moi je suis la plus grande des petites alors je m’occupe des boissons, mais je suis maladroite aussi et un des Orangina se couche et se déverse sur le plat de galantines à l’étage en-dessous. Une de mes sœurs pousse un petit cri, je lui fais des yeux très noirs et demande à ma cousine de me lancer une éponge. Tout va très vite parce qu’il faut pas que ça se voit. J’éponge le plat, j’essore, j’éponge encore, c’est bon, on n’y voit goutte mais ça commence mal.
Comme on est 4 à table, on finit toujours avant les grands et puis j’ai remarqué qu’on a une entrée en moins. On a le droit de se lever entre les plats heureusement, on va dans l’arrière-cuisine parce qu’on est à la boucherie et on joue, au docteur, à la Grande Sœur, à l’Ecole des fans… on a plus faim c’est trop long tout ça.
Chez les grands, c’est comme pour le vin, il y a 2 clans, ceux qui votent à gauche et ceux qui sont à droite et les femmes elles parlent aussi fort que les hommes. Nous on est habitué à ce gros son permanent quand c’est noël mais là, avant la dinde, ce n’est pas pareil, ça crie, ça dit « Non arrêtez - Vous n’allez pas recommencer - C’est pas possible - Calmez-vous – Jean, tais-toi – Jacques, ferme là – Claude, ne cherche pas les histoires – Mais stop pensez à celles qui ont tout préparé – Chaque année c’est la même chose, ça suffit – Stop – Non non non c’est de la folie ! ARRETEZ ! ».
Interruption de notre Ecole des Fans, l’invitée était Sylvie Vartan et ma petite sœur se présentait avec « Comme un garçon » …
"Comme un garçon"
Ma cousine et moi on a tout de suite compris que c’était fini, que nos cadeaux seraient balancés empaquetés dans les coffres de nos voitures, qu’on les ouvrirait demain, on fonce dans la salle à manger, les yeux des grands sont vitreux, les mines rougies, ma tante Claude qui vote à droite, est tombée de sa chaise, mon père a le poing encore serré, elle l’a giflé il a riposté, mes mamies pleurent, mes pépés essaient de calmer le jeu, trop tard, trop tard, mon parrain surenchère, congédie mon oncle du Canada et sa femme « Toi et ta grosse vous ne restez pas là ! » Ma mère griffe la main de mon parrain qui fuit dans la rue, ma cousine suit son père, on est tous debout alors que la dinde attend, que la cire des bougies débordent des chandeliers, que la boule transparente vacille en haut du sapin, porte et fenêtres sont ouvertes et le froid de décembre nous saisit alors que nous avions presque trop chaud juste avant, on nous enfile sèchement les bonnets-ours sur la tête, celui de ma petite sœur est mal mis et une des sangles lui traverse le milieu du visage, elle chouine :
« Mais on a pas mangé les gâteaux ! ». Ça m’a fait sourire.
Il y a les rêves d'enfance, les enfances de rêves .... et il y a Jacques Brel!
RépondreSupprimerMerci!