Etape 12 Sans titre III
Toujours la série « Prose de l’automne à Gérone », et encore sans titre. De quelle réalité étrange relève chaque poème ? On peut même supposer que le poète se fout réellement de nous si l’on rapproche le poème précédent de celui que j’aimerais citer ici.
- Rue du Gouverneur- (Madrid-collection particulère)
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Sans titre
La situation réelle : j’étais seul chez moi, j’avais vingt huit ans, je venais de rentrer après avoir passé l’été hors de la province, à travailler, et les pièces étaient pleines de toiles d’araignées. Je n’avais plus de travail et mes économies, au compte-gouttes, me permettraient de tenir quatre mois. Aucun espoir non plus de trouver un autre travail. A la police on m’avait renouvelé mon permis de séjour pour trois mois. Non autorisé à travailler en Espagne. Je ne savais pas quoi faire. L’automne était doux.
La réalité de la situation, Roberto, parlons en s’il te plait ! Hein, et, dis donc, quelle est la vraie réalité ? Celle-ci plutôt que celle-là ? La réalité prosaïque d’un immigré sans papiers ou la réalité d’un type qui est peut-être aimé et à qui des « messages » lui seraient lancés ? Les réalités, le poète les laisse venir à lui parce que « sa » réalité bouge comme on respire. De là à dire qu’elle ment comme elle respire, pourquoi pas, et cela est la même chose que de dire « elle dit la vérité comme elle respire ». Oui, la réalité pourrait respirer, pareille à un corps qui respire. Mon corps, après ce souffle que j’ai à cet instant, est déjà dans le passé et mon corps n’est plus le même. D’ailleurs Cesarea, incarnation de la poésie dans « Les détectives sauvages », avait bien un corps. Difficile dans ces conditions fluctuantes ou paradoxales de comprendre, au moment donné, la portée pratique de la pensée de Parménide. Le philosophe a tâche de fixer la réalité non pas par ignorance qu’elle va changer, mais parce-que son souci est surtout de ne pas céder aux mirages ; car la réalité, il est exceptionnel que nous l’admettions telle qu’elle est, crue. Et ce mirage ou cette illusion peut nous amener à construire un fortin, une protection absurde qui, loin de nous approcher de la réalité, nous en mettra à distance. Clément Rosset développe cela avec talent dans « Principes de sagesse et de folie ». Cette folie, Clément Rosset, la débusque avec insolence et elle doit être d’autant plus être débusquée qu’elle barde de raisons l’irréalité pure. Le poète Roberto Bolano avait, je pense, la même défiance vis-à-vis de l’irréalité et sa persistance à poursuivre un chemin personnel (non fortifié, courageux, infraréel !) l’illustre parfaitement. Seule différence avec d’autres réfugiés politiques : sa chambre est grande ouverte … aux toiles d’araignées autant qu’à une femme qui lui dit « Prends soin de toi ». Pourtant, il a « folie » aussi, comme on le verra en une autre étape.
Faux la Montagne – 2017 – Folie les mots (collection particulière)
Etape 13 –Agence des dents électriques -
Ce poème aurait-il été proposé ou lu pour « Radio Barcelone », puisque tel est son sous titre, sous titre qu’on retrouve également pour le poème qui suivra dans l’édition de référence ? Rien ne me permet de l’affirmer. L’agence des dents électriques est elle « générique » ou simplement liée à ce poème, peu importe. L’important est de dire « Bienvenue », bienvenue à cette agacerie personnelle, « Folie ».
Sans titre (collection particulière)
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Agence des dents électriques /
Radio Barcelone
Bienvenue,
je t’ai
attendue toute la nuit,
et les bateaux sont partis
pour les îles,
et leurs lumières de fête
n’ont pas brillé
comme mes yeux,
assis et grelottant toute cette nuit
sur le quai.
Bienvenue
Dans ma solitude
dans mon bois de cerfs d’or
qui s’étonnent
dans la baie.
Les chansons des bateaux
m’ont confirmé
la mort de ma balade,
les chansons pleines de lumière
et d’indifférence
des bateaux
ne m’ont projeté que les ombres
de mes amis,
mais que je sois ici
cette nuit
est d’une certaine façon une victoire.
Folie,
Amour Atroce,
les étoiles bâillent
devant les navajas,
la vapeur s’accumule
à l’extérieur des bars fermés,
la beauté a même quitté
les faubourgs,
un nuage rouge se fragmente
pour nous : une main
se cicatrise pour nous.
Feignons de fuir
mais revenons.
Une main fermée comme
un bouton de fleur
ce n’est pas une grande image mais
nous ne sommes pas non plus
de grands révolutionnaires.
Feignons d’avoir feint de fuir
mais revenons.
Bienvenue
(encore une fois)
Mademoiselle la Folie.
Tu veux une cigarette, tu veux
une cigarette maintenant,
ou préfères-tu la garder
pour quand l’orage se déchaînera ?
« Jaune et noir » (carte postale reproduisant une peinture sur caoutchouc ionisé de Daniel Tremblay)
Il existe une plaque en souvenir de Roberto Bolano dans une rue de Barcelone. Il existe même une petite vidéo que l’on peut trouver sur la toile du net, vidéo montrant la route « Roberto Bolano » qui va de Barcelone à Blanes, près de Gérone. Des images y montrent un camping, celui où a probablement travaillé notre poète. Oublions la route vantée touristique et regardons les étoiles. « Folie, Amour Atroce, les étoiles bâillent devant les (bouteilles de) navajas ». Les bouteilles sont vides mais le poète n’a pas le vin triste. Plutôt lucide, puisque « nous ne sommes pas non plus de grands révolutionnaires » et si effectivement Bolano n’a guère voulu fondre son existence dans un maelstrom d’exilés politiques chiliens, il n’a pas renié sa folie première. «Feignons d’avoir feint de fuir » : Bolano écoute toujours la petite voix de sa « Folie » car elle était sage, en réalité, sa Folie. Ce n’était pas un fortin.
Je l'ai trouvé assis sur des cagettes de fruits, le dos appuyé sur un arbre, la meilleure place qu'on aurait pu trouver. Quelle chance tu as lui ai-je dit. Oui m'a-t-il-dit, j'ai beaucoup de chance.cet apres-midi là il m'a parlé du Chili, parce qu'il en avait envie ou parce que je le lui ai demandé, je ne sais pas
RépondreSupprimerLes détectives sauvages, p.221