samedi 11 juillet 2020

Itinéraire pour Césarea (1/19)

Samedi 11 juillet 2020

On parle ici de l'étape 1 d'un voyage en  19 étapes 1/2 d'un itinéraire à la poursuite des traces du  fantôme de Césarea,  fantôme créé sa vie durant par Roberto Bolaño, fantôme flottant parmi les vivants. Les 19 étapes 1/2 ont été distribuées sur la durée du confinement que la population française a subi du 17 mars au 11 mai 2020.


1-Je vous propose une baxter dérive adaptable au confinement que nous pratiquons.  Mais pas question de réalité indéformable, il faut un objectif nommé, un temps donné, un système de contraintes d’autant plus librement accepté qu’il n’a jamais été discuté et, bien sûr, des pas à suivre. Je vous propose aujourd’hui les miens. Le chemin est arbitrairement mon chemin, mais tout participant a bien sûr la capacité de s’arrêter en chemin, brouter l’herbe, reprendre pied, râler, s’esclaffer en saccades de mots, geindre des sons, dormir, rêvasser, demander grâce etc.  Au péril de sa vie, bien entendu.



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                Le système de contraintes que je propose est d’une simplicité quasi débile. Juste avant le Grand Confinement j’ai pu me procurer le premier volume de l’édition des œuvres complètes de Roberto Bolaño. J’ai donc un « baxter-terrain » dont je souhaite explorer avec vous quelques points de vue.  Plus de la moitié de ce qui  compose ce volume a déjà été publié en français. Mais le reste,  ce sont les poésies de Bolaño. Théoriquement, nous voilà au Saint des Saints, puisque le détective sauvage Roberto Bolaño n’a jamais été qu’un vagabond sur la piste de la « Poésie ». Il n’était pas seul. On ne peut rien imaginer de R B sur cette piste poussiéreuse  si on n’y trouve pas de temps en temps  son compagnon « Ulyses », connu comme  Mario Santiago Papasquiaro , dont le vrai nom d’état civil était (dixit Wikipedia) José Alfredo Zendejas Pineda. Le choix d’ordre des poèmes dans cette édition tient à la fois de  classifications  par Bolaño lui même  et de rajouts divers.
                Sans aucune précaution particulière je vous propose un premier  poème (page 414).  Seul, confiné, « je rêve ».  Il y a l’ami, les terres de la Curiosité et l’âne. Cet âne, substitut de la moto de l’ami, me fait penser à l’âne de Giordano Bruno. Son aspect n’a rien d’enchanteur. Il est pourtant la vérité du courage et de l’espérance.   

                                               L’âne
Parfois je  rêve que Mario Santiago
Vient me chercher sur sa moto noire.
Et que nous quittons la ville et à mesure
Que les lumières disparaissent
Mario Santiago me dit qu’il s’agit
D’une moto volée, la dernière moto
Volée pour voyager dans les terres pauvres
Du Nord, direction le Texas,
A la poursuite d’un rêve innommable,
Inclassable, le rêve de notre jeunesse,
C'est-à-dire le rêve le plus courageux de tous
Nos rêves. Et dans ce cas
Comment refuser d’enfourcher la rapide moto noire
Du Nord et partir à toute allure sur ces chemins
Qu’ont parcouru jadis les saints du Mexique,
Les poètes mendiants du Mexique
Les sangsues taciturnes de Tepito
Ou de la colonia Guerero, tous sur le même sentier,
Où se confondent et se mêlent les temps :
Verbaux et physiques, le passé et l’aphasie.

Et parfois je rêve que Mario Santiago
Vient me chercher, ou alors c’est un poète  sans visage,
Une tête sans yeux, sans bouche et sans nez,
Uniquement peau et volonté, et moi sans rien demander
Je monte sur sa moto et nous partons
Sur les chemins du Nord, la tête et moi,
Etrange équipage embarqué sur une route
Misérable, chemins effacés par la poussière et la pluie,
Pays de mouches et de lézards, de broussailles desséchées
Et de bourrasques de sable, seul théâtre concevable
Pour notre poésie.

Et parfois je rêve que le chemin
Que notre moto ou notre désir parcourt
Ne commence pas dans mon rêve mais dans le rêve
D’autres êtres : les innocents, les bienheureux,
Les doux, ceux qui pour notre malheur
Ne sont plus là. Et c’est ainsi que mario Santiago et moi
Quittons la ville de Mexico qui est le prolongement
De tant de rêves, la matérialisation de tant de
Cauchemars, et remontons les Etats
Toujours vers le Nord, toujours sur le chemin
Des coyotes, et notre moto alors
Est de la couleur de la nuit. Notre moto
Est un âne noir qui voyage sans hâte
Sur les terres de la Curiosité. Un âne noir
Qui se déplace à travers l’humanité et la géométrie
De ces pauvres paysages désolés.
Et le rire de Mario ou de la tête
Salue les fantômes de notre jeunesse,
Le rêve innommable et inutile
Du courage.

Et parfois je crois voir une moto noire
Comme un âne noir qui s’éloigne sur les chemins
De la terre de Zacarecas et de Coahuila, aux confins
Du rêve, et sans parvenir à comprendre
Son sens, sa signification dernière,
Je comprends toutefois sa musique :
Un chant d’adieu joyeux.

Et ce sont peut-être les gestes du courage
Qui nous disent adieu, sans ressentiment, ni amertume
En paix avec leur gratitude absolue et avec nous-mêmes.
Ce sont les petits défis inutiles – ou dont
Les ans et l’habitude nous ont fait
Croire qu’ils étaient inutiles – qui nous saluent,
Qui nous adressent des signes énigmatiques,
Au milieu de la nuit, au bord de la route,
 Comme nos enfants chéris et abandonnés,
Elevés seuls dans ces déserts calcaires,
Comme la lumière qui un jour nous a traversés
Et que nous avions oubliée.

Et parfois je rêve que Mario arrive
Avec sa moto noire au milieu du cauchemar
Et que nous partons vers le Nord,
Vers les villes fantômes où demeurent
Les lézards et les mouches.
Et tandis que le rêve  me transporte
D’un continent à l’autre
A travers une douche d’étoiles froides et indolores,
Je vois la moto noire, comme un âne d’une autre planète,
Séparer en deux les terres de Coahuila.
Un âne d’une autre planète
Qui est le rêve débridé de notre ignorance,
Mais qui est aussi notre espérance
Et notre courage.

Un courage innommable et vain, c’est bien vrai,
Mais retrouvé aux marges
Du rêve le plus ancien,
Dans les partitions du rêve final,
Sur le sentier confus et magnétique
Des ânes et des poètes.

                               Pour une première étape cela est bien suffisant. D’ailleurs, je suis essoufflé. Pause

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