"La lucidité est la plaie la plus proche du soleil"
René char
Bonsoir. Asseyez-vous, je vous prie, sur l’unique chaise qu'il vous reste ou adossez-vous à votre tête de lit, si vous avez la chance d’en avoir toujours un. Quoi qu’il en soit, relaxez-vous, mettez-vous dans les meilleures conditions possibles pour écouter mon histoire, ou plutôt, son histoire, puisque cette histoire est celle de Martha Lindkquist, la jeune autiste qui avait décidé d'inverser la voie qui conduit au butoir du monde
OUVERTURE
Sven Lindkquist et Beri Elisabeth Hansen se rencontrent lors d’un rassemblement d’activistes écologiques à Uppsala, royaume du Daim. Tout concorde entre eux, elle est comédienne dans de mauvais sitcoms érotiques et lui, dirige une startup de macro alimentaire baptisée « Seed and Weed »,qui fournit la moitié des stocks de fruits secs dans le pays. Ils s’aiment, ascensionellement. Martha Lindkquist nait à Stockholm un 3 novembre, au zénith sexuel de leur idylle
"De ces choses que les enfants emmagasinent et qui plus tard fortifient ou désorientent leur vie"
La maison des grands parents, à la campagne, se situe près de Norregår. Dès que le printemps arrive, on va admirer les champs de jonquilles qui s'étendent à perte de vue. Du cellier remontent des odeurs de mélasse et de sirop d'érable. La maison, ancienne déjà, est bâti contre un coteau, et partage les affleurements de mica avec le poivre des murailles et l'orpin brûlant. Les journées sont rythmées par des disques de Povel Ramel, auquels martha préfère ceux de A-ha, surtout le titre "Take on me". Dans la bibliothèque familiale, on trouve aussi bien les ouvrages d'August Strinberg, de Selma Lagerlöf, que ceux de Stieg Larson. Très tôt, elle écoute sa grand-mère lui lire "les merveilleux voyages de Nils Holgersson au pays des oies sauvages".
Martha n'a pas dix-huit mois, qu’elle use d’un stratagème étrange et inquiétant. A table, elle fait mine de mâcher la nourriture, de déglutir pour, le repas fini, filer dans le jardin enterrer les aliments cachés entre ses gencives et sa langue, ce qui fait le bonheur de Monsieur Nilsson, le petit singe de la maison. il est plutôt rassurant pour Elisabeth et Sven de trouver à leur filles, de si bonnes joues.
Martha a 2 ans. Un matin d'été orageux, la petite famille part très tôt pour une randonnée dans le canyon d'Abisko. Martha, bien calée dans le sac porte-bébé de son père, peut admirer, à son aise, le mont Njulla et son glacier violet. Alors qu'ils passent devant un kern monumental, elle remarque des peaux d'orange qui jonchent le sol. Elle rue subitement à l'intérieur du sac, en filant de bons coups de pieds dans le dos de son père. Alors qu'il pense à une crise de panique, Sven la fait descendre, et à peine a t-elle posé le pied par terre, qu'elle fonce droit vers les écorces, dont certaines sont sur le dos. Martha les remet dans le bon sens (le côté orange bien visible), celui qui lui convient; maintenant, sa paix intérieure est revenue et son monde peut se remettre tranquillement à fonctionner.
Martha n’a toujours pas prononcé une simple phrase depuis qu’elle est née. Elle a crié quand elle avait faim, pleuré quand elle réclamait son doudou, ou la présence de sa mère, la nuit, mais toujours pas un mot intelligible. Elle ne produit que des borborygmes, des grognements de chien. Sven et Beri s’en inquiètent. On est samedi. Il est 9 h du matin. Sven s’est levé le premier pour préparer le petit déjeuner. Le couple est à table quand il voit débarquer dans la cuisine Martha qui baille. Elle tient par la queue, son singe, Monsieur Nilsson, qu'elle traîne par terre. Elle se dirige vers le frigo pour y prendre un bidon de lait. Elle s’apprête à se mettre à table, mais avant, elle installe Monsieur Nilsson sur sa propre chaise-bébé, puis se tourne vers sa mère en lui montrant le bidon de lait, puis tranquillement, en affichant un beau sourire, elle lui demande :
«- Dis maman, est-ce qu’il est périmé ? »
Martha est à peine scolarisée qu’un médecin du CLEISS, le système de santé daimois, décèle chez l’enfant un syndrome d’Asperger, une forme intéressante d’autisme qui sera à l’avenir très largement médiatisé
Edvard Munch "La voix, nuit d'été" 1896 |
Malgré ce diagnostic, Martha suit une scolarité tout à fait normale et fait exactement comme les autres en classe. Elle fait même beaucoup mieux. Mais un fait nouveau, scientifique comme sociétal, vient troubler les élèves du collège Villekulla. Un mot, qui est sur toutes les lèvres et en particulier des adolescents ayant acquis la conscience de ce qui les entoure : le mot CLIMAT et son corollaire, le dérèglement climatique. Depuis qu'elle a 8 ans, elle lit tout ce qui concerne le sujet. A partir de cette prise de conscience tout va être remis en question. Martha opte pour une alternance dans sa vie scolaire, elle ira au collège jusqu’à jeudi, et le vendredi elle manifestera pour la santé du climat, seule s’il le faut, un simple morceau de carton entre les mains ; dos au mur de l’enceinte du collège Villekulla. Ce carton sera sa bannière de justice, où il sera inscrit en lettres capitale: "GRÊVE DE L'ECOLE POUR LE CLIMAT".
Première grève pour le climat de Martha à Stockholm |
Le sens de la persuasion dont elle use, aussi bien au collège qu'au sein de sa famille, sidère et effraie à la fois. A l'approche de Noël, pressentant un nouvel holocauste d'animaux, elle réussit à convertir presque tous les membres de la famille dont son père, le premier, à ne plus manger de "cadavres d'animaux morts", comme elle dit. Sa mère, petite fille de boucher, négocie pour en manger encore une fois par semaine. A l'école, elle entraîne plusieurs de ses camarades à faire la grève de la faim au réfectoire; On réclame plus de luzerne et de quinoa, davantage de tofu et de caroube dans les assiettes. Dès qu'il y a de la viande au menu, Martha et ses amis l'avalent certes, mais se font vomir aussitôt en salle polyvalente, pendant l'étude, devant des surveillants médusés. Martha Lindkquist revendique ces actions radicales par ce qu'elle appelle des "vomit war". Après un conseil de discipline extraordinaire, elle est renvoyée du collège Villekulla pour rébellion et satanisme
Une partie de la presse internationale commence à s'intéresser au cas de Martha Lindkquist, à la citer parfois en exemple. Elle est invitée sur quelques chaînes de télévision locale, à la suite de plastic Attack monstre. Lors d'une action de grande envergure à Göteborg, elle convie tout les pensionnaires d'un IME à se débarrasser des emballages dans les rayons d'un prox'ICA. Survolté, le gros des troupes transforme la supérette en véritable champ de bataille.
Ce sont finalement les réseaux sociaux qui feront envoler la cote de popularité de la jeune influenceuse. Lors d'une manifestation de juniors éco Warriors aux Etats Usines, elle demande une audience auprès du président Robinson V qui, contre toute attente, la reçoit dans le cabinet spécial de la maison cloche.
On compare déjà sa détermination et son impatience à celle, légendaire, de Jeanne d’Arc. Des intellectuels, dont quelques historiens zélés, vont jusqu'à relever des similitudes troublantes dans le fait qu'elle trouve dans la personnalité du président des USA, Robinson V, la force que Jeanne la pucelle avait trouvée en Charles VII, son roi de gloire. C'est le nouvel archétype de la jeunesse qui supplantera, à coup sûr, celui bien désuet, qu'incarnait la bergère de Dom Rémi autrefois; Martha veut tout et tout de suite ! Elle ne trouvera le repos que lorsque sa génération aura obtenu des garanties valables pour faire face à l'urgence climatique auprès des maîtres de ce monde. Pour qu'il en soit ainsi, elle veut livrer bataille à tout ceux qu'elle nomme : les outrageux; en particulier, à son ennemi juré, le dernier président Lee, qui lui conseille cyniquement, je cite: " d'aller sur Netflix pour s'aérer le bocal ." Robinson V est celui qui l'écoute, qui la trouve d'un très grand courage; Lee la raille et la renvoie aux gémonies. Tous les deux ne sont pas sans connaître sa particularité, sa "maladie". Mais chacun l'interprète à sa manière et l'exploite comme bon lui semble
Lise Leplat Prudhomme est Jeanne dans le film de Bruno Dumont - 2O18 |
Maestro, voilà une saga bien engagée, l'assistance, bien calée dans son rocking-chair, attend la suite avec impatience, l'oeil humide et le doigt sur la kalash.
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