mardi 8 mars 2022

RADIO BAXTER # 5 Début


"Lumières"            Gérard Manset          1985 

 


   "Nous étions si jeunes, si jeunes et si fiers, comment vous dire…"



                                                                    "Y a une route " Gérard Manset  1974




Mon année 1984 n’est pas celle qu’a anticipée George Orwell, 35 ans plus tôt. Elle m' apporte, comme jamais auparavant, un regain de joie et de liberté. Je distingue, néanmoins, l'année scolaire 1984-1985 de cette année solaire 1984, qui a vu, parmi les évènements majeurs qui l'ont jalonnés, l'équipe de France de foot, conduite par Michel Hidalgo, remporter son premier titre international au Parc des Princes. Le solaire m'apporte toutes les joies de ce monde, contenues dans la musique, la poésie (qui contient tout), autant que dans la rêverie, le dessin, et dans cet évènement tout à fait nouveau, aux effets incoercibles, qu'est le cinéma de la nouvelle vague. Le scolaire ne m'a jamais apporté que revers de fortune, doutes quant à de réelles capacités à m'intégrer dans le système, sans parler de cette scoliose fixée qui ne m'a jamais quittée. Mais en 1984, je ne suis pas encore le jeune homme sombre et timide (quasi psychotique), qui se profile à l'horizon, non, je suis encore l’animal doux, grégaire et enjoué, confiant, entouré de la fine fleur du collège - les meilleurs camarades du monde, je vous dis – les Box, les Muse, les Jane, les grands Mic ! Tiens, et tous des aventuriers du latin-grec, ce qui me les rend encore plus héroïques à mes yeux; même si, dès qu'ils vont en latin-grec, moi je vais moisir en perm, autrement dit, gésir dans le sous-vide. C'est pourquoi, je, soussigné, J C Pardou, le dernier des pinglards, déclare déborder d’allégresse et d’amour pour les as du collège des eaux troubles; pour eux, les Mauduiz, les grands Mick, les box, les Muse, les Jane… 






Aux confins de ces eaux troubles, on peut trouver, en cherchant bien, une bibliothèque, située à l’ouest du quartier, une bibliothèque annexe, la seule de la cité-citerne. Je n’ai qu’à traverser la double avenue, trois porches, un jardin public et on y est : Au Walhalla, rue de Tourcoing. Nous avons mis le temps, mon frère Pierrick et moi, avant d’y foutre les pieds au Walhalla. Voilà ce qui arrive quand on n’a pas jugé utile que tu ailles en latin-grec ! Pourtant, en primaire, nous avons été des visiteurs plus que consentants des bibliobus, où se mélangeaient l’odeur de la sueur des livres des collections roses et vertes, salies par des milliers de petites mains excavatrices de crottes de nez, et celle, encore plus inoubliable, de la cire des planchers d'autocar. C’est lui, Box, qui me convie, un mercredi, à la bibliothèque annexe pour, dit-il : "m’apprendre à jouer aux échecs" - le pauvre ! Il ne pouvait pas imaginer à quel point je suis délesté de la moindre abstraction géométrique. En Gym déjà, sur l'agrès, je n'ai jamais su faire une équerre correcte. C’est lui, le Box, avec le V de la victoire sur son pull tricoté par la grand-mère de Lann Bihoué, qui m’a donné ma chance, un samedi après-midi, alors que je n’avais rien à faire, et que je m’emmerdais ferme, seul, dans le salon, alors que Papa, penché sur sa grille, tentait de rejoindre le minotaure, force 4, dans son labyrinthe cruciverbiste. Puis quand Box a jeté l'éponge (au sujet des échecs), j’y suis allé sans lui au Walhalla, arpenter, fouiller, renifler, ratisser les rangées de livres, et surtout, les bacs des vinyles, jusqu’au jour mémorable où je présentai à Madame Lecogarde,  bibliothécaire en chef de l’annexe de la rue de Tourcoing, ma sélection du jour la plus anthologique. Ce jour-là, Madame Lecogarde, calfeutrée dans son châle en alpaga, permanente en place, dodeline de la tête de gauche à droite, comme si elle réfutait ce choix implacable et judicieux, qui marque d’une pierre blanche la fin de l’histoire des enregistrements d’emprunts des documents écrits et sonores par le biais d’un magnétophone à cassettes; le plus mémorable d’entre eux étant à mettre au crédit d’un fonctionnaire, jeune et adipeux, employé à la bibliothèque centrale, face à la Loire.

 l'Anecdote

La Loire fait ses remous habituels; mettons qu'elle rote les alluvions qu'elle charrie depuis la nuit des temps. J'accompagne mon copain de probatoire des Beaux-arts de Tours, Philippe Kilon, dit Kiki, jusqu'au rez de chaussée de la centrale;  200 longs mètres à faire sous le plomb. Il veut, sans plus tarder, trouver un bouquin de Boris Vian qu'il n'a jamais lu: "Je voudrais pas crever", et cette poésie noire que renferme ce recueil lui convient à merveille, tant Kiki aime les écorchés vifs, comme plus tard Artaud, qui finira par le détruire . Nous crevons, malgré  les fenêtres ouvertes pour faire courant d'air - Faut dire qu'en ce mois de septembre 1987, le Celsius a fusionné avec le Fahrenheit. Nous nous présentons à l'accueil, mais faut encore faire la queue. Alors nous avons tout le temps pour observer le gros type derrière son bureau qui est chargé de l'enregistrement des documents. Il est bien trop couvert, en plus, son pull en laine présente quelques taches de gras qui se regardent mal. Il transpire, il souffle; à peine s'il peut parler assez fort dans le micro, à être intelligible. Cet enregistrement est le seul moyen de savoir où sont passés les livres et les documents sonores, une fois sortis. C'est notre tour. Kiki se présente, satisfait, avec son magot. Il tend l'ouvrage et sa carte d'abonné au gros type qui surnage dans sa sueur, et qui les attrape, et qui actionne la touche pause du magnétophone - Il se penche vers l'appareil :
"- C'est Philippe Kilon, (pause) c'est 11 rue du Bourg (pause) c'est 41350 à Vineuil, (pause) C'est V 4755 PF, c'est (pause)
Il est violacé, il peine à reprendre son souffle, il est parti trop vite, sans mesurer l'effort, comme ces chevaux fougueux qui, fatidiquement, refuseront l'obstacle.
"- C'est Boris Vian, c'est…
Il s'effondre, c'est pas possible… et pourtant nous percevons Philippe et moi un léger souffle
"- C'est : " j'voudrais pas crevéééhh !"




Fin de l'anecdote


2
Il y a quelques bonne femmes sans âge qui épluches "Femmes modernes" assises sur des poires orangées. Peut-être vont elles, comme ma mère, plus volontiers vers la rubrique du sexologue Adjul Puncharah, et ses conseils pratiques prônant l'harmonie du couple, que vers les fiches culinaires ayurvédiques du même gourou ? Sur une table d'étude, un bonhomme est sérieusement plongé dans le journal local, à la page nécrologie, cherchant, peut-être, une connaissance du quartier qui aurait eu la bonne idée de claquer avant lui. En attendant, il vient de faire l'économie de 3F, 50, le prix du journal. Un jeune requin s'est mis en chasse, louvoyant parmi les allées qui séparent les rayonnages, toujours à l'affut, car il a encore faim, même s'il s'est déjà mis sous la dent : "Les aventures de Huckelberry Finn », la suite de « Tom Sawyer » de Mark Twain (dont on ne rate jamais, Pierrick et moi, un seul épisode de l’adaptation japonaise pour le dessin animé), ainsi qu’une nouvelle biographie consacrée à Charlie Chaplin, son cinéaste absolu. Tout à sa besogne, il se dirige vers le dessert du requin: la Musique ! Il faut ses deux mains pour fourrager dans un bac de vinyles, pas moins !, alors il pose ses livres sur le bord du bureau de Madame Lecogarde qui, comme tous les samedis, est secondée par Mademoiselle Forest et ses yeux pervenches, et ses cheveux en volutes auburn qui tombent en cascatelle sur ses épaules. Madame Lecogarde n’aime pas que je vienne empiéter sur son bureau si bien rangé, ce dont je n’ai que faire, parce que je tremble de joie à l'idée de dénicher le disque qui me fera oublier cette triste évidence : celle que je ne pourrai jamais me faire aimer de Corinne Forest, même si la différence d’âge entre elle et moi (mettons sept ans), ne m’impressionne pas du tout, puisque je déjoue, déjà, à mon âge, les lois de la génétique, arborant du haut de mes quatorze ans, un : d'une belle forêt de poils pubiens noir de jais, et de deux : un fin duvet d'une moustache brune qui pour peu que je la laisse pousser, me fera ressembler à mon idole.




Cette virilité apparente, je l’emploie à défriser les disques avec le rythme du brocanteur chatouillé par une sévère envie de pisser. J'en suis à la lettre G; trop vite, beaucoup trop vite. Mais je tombe sur un disque de Genesis, que j'ai découvert dans le capharnaüm de l'oncle Michel. Est-ce si curieux que je sois encore plus sensible à la composition des pochettes, des layouts, qu’au produit des artistes et à leur notoriété ? « Duke » avec Phil Collins au chant ou : quand les planètes s'alignent, quand les titres sont sublimés par une pochette conçues par un artiste comme Lionel Koechlin


 

- Je continue, I comme Iron Maiden, J, comme Judas Priest : même combat : voix de guerriers pictes, armés de cimeterres et de scramasaxes en guise de guitare. K, comme Kool and the Gang, photo sirupeuse, une vraie poisse ! K, comme Kid Créole and the coconuts...la soupe est servie mais il n'est que cinq heures ! Me voici à la lettre M - Je sors, amusé, ce disque dont le titre phare fait fureur en ce moment: "Pass the dutchie", ou "passe la marmite" en gaulois; le tube des Music Youth, un groupe de dub anglais, composé uniquement de jeunes adolescents, à l'instar des Popies qu'écoutaient, avant nous, nos frères et sœurs ainés. Je te remets ces lardons dégraissés en juste place, à M comme MERDE



M, toujours, M comme MYSTERE - M comme Manset. Oui, je connais ce nom, je le connais grâce à ce tube qui passe le soir sur les grandes ondes. Papa, au coucher, laisse son transistor allumé sur RTL ; c'est une habitude ; il ne peut pas s'endormir sans. Moi et Pierrick, nous partageons la même chambre que Papa, pour notre malheur. Il y a trois chansons  que notre père aime, semble-t-il : " Le lac du Connemara", mais ce n'est pas ici notre affaire, "Il est libre Max" d'Hervé Christianni et "Il voyage en solitaire" de Gérard Manset. Comment je le sais? Parce que quand Papa dort, nous, on dort pas, ou peut-être que mon frère si, mais pas moi; c'est impossible, parce qu'il ronfle en stéréo; comme un DJ somnambule des oreilles, il remixe les chansons avec ce qu'on qualifierait aujourd'hui de réverbe, sauf quand bizarrement, ces chansons, presque jumelles, passent la nuit à la radio. Incroyable ! Il cesse de ronfler, juste le temps d'un titre, donc, c'est que dans son subconscient, il l'écoute, autrement dit, c'est qu'il aime ce qu'il entend ! C'est la seule explication possible ! Et puis, il y a autre chose ; Y a Roland aussi, mon frère cuisto, qui nous concocte des casettes de son cru à chaque fois qu'il revient de Suisse, où il bosse comme apprenti saucier dans un bel établissement de Zurich. A chacun de ses passages à la maison, il nous refile des cassettes, des trucs nouveaux, et comme il reste toujours un peu de place sur la bande, il bourre, et j'ai remarqué que presqu'à tous les coups, deux ou trois chansons de Manset  servent à combler les trous ; par exemple, après "Communiqué " de Dire Straits, deux ou trois chansons de Gérard Manset, Je me souviens de : "un homme étrange", et surtout, de ma préférée entre toutes : "y a une route". Peut-être que le but de Roland, était de nous faire pénétrer, en douceur, dans le royaume de Manset ?




3
 J'ai le disque entre les mains. Si on veut faire plus énigmatique en matière de pochette, on ne fait pas mieux ! Au cœur d'un aplat jaune de Naples, un carré de la même couleur et dans ce carré, une photo méticuleusement déchirée, celle d'un premier communiant ou bien d'un enfant de cœur, qui sait; un bandeau, en haut à gauche, gris foncé comme un brassard de deuil, où on peut lire en lettres capitales : LUMIERES
On conviendra qu'on a fait mieux comme pochette de disque, mais le mystère l'emporte sur mon indécision. Et puis, il y a la présence maternelle de la mère Lecogarde ainsi que celle, absolument aphrodisiaque, de la suppléante, Mademoiselle Forest, dont je reste sous l'empire -  j'embarque dans ma moisson : "Lumières" 

J'approche du bureau de prêt où Madame Lecogarde m'attend tête en avant, toujours animée d'un va et vient constant, vous donnant cette impression désagréable qu'elle va se dévisser, à l'instant même, sous vos yeux. Je me poste à la droite du bureau où se tient Corinne Forest; je peux ainsi l'observer du coin de l'œil, m'imprégner de son odeur, voir comment elle habite ses propres vêtements. Je sais qu'elle m'en veut parce que j'ai trafiqué une fois ou deux les cartonnettes des dates de retours, tellement j'étais en retard et risquais un blâme. J'avais gardé trop longtemps le double album de Thiéfaine "En concert", j'avais soutenu mordicus, sous ses beaux yeux, que je n'avais jamais bidouillé la date de retour ! Elle avait qualifié mon travail de faussaire d'extrêmement "grossier". J'étais en train de repenser  à ce délicieux moment quand j'ai surpris la main gauche de Corinne Forest venir visiter l'échancrure de son corsage et jouer avec sa chainette en or. Putain ! Je découvre qu'elle ne porte pas de soutien-gorge, que l'une des deux aréoles d'un brun violacé apparaît au contact d'un pan de son corsage blanc nacré, libre des deux premiers boutons, moi, très ému à l'idée que le voile léger est venu s'accrocher paresseusement à ces deux éminences jumelles, comme un feu follet accroché à la canopée d'une forêt vierge. J'essaie de détacher mes yeux, quand Madame Lecogarde doit m'arracher les livres des mains. Elle enregistre vite fait la biographie de Chaplin, de sa voix ferme, un peu perchée, puis elle le place sur le côté, le côté de Corinne Forest. Maintenant c'est le tour du livre de Mark Twain. Elle ne se méfie pas. Son expérience parle :

 -  C'est Jean-Claude Pardou, c'est 4 place Rocroi, 37100 à Tours, c'est - c'est RT 53704, c'est Mark [Touen]. C'est ?- C'est Hukelkel non ! C'est Hukelbukelbe,  c'est…
Corinne Forest se lève et se retourne d'une traite vers la fenêtre du Walhalla, agitée par des tremblements convulsifs:  elle craque, laissant Madame Lecogarde, seule, avec ce va-nu-pieds de Huckelberry Finn. Je constate que ses fesses valent bien ses seins; rondes et petites, toutes petites.
-  C'est Mark [Touen] et c'est, c'est Hcokelkle Hockele kele Berifinn... Houkaléberiff...

Elle n'y est jamais arrivée.

Je reprends le chemin de la maison, hanté par le souvenir frais et fugace du joli mamelon de Corinne Forest, la suppléante du Walhalla, et j'essaie de penser à toute autre chose, par exemple aux deux fils du fleuve Mississipi : Tom et  Huck et  aux nouvelles aventures qui nous attendent, "là-bas, dans l'île", quand je me retrouve, je ne sais comment, au beau milieu du jardin public, où déjà, les prémices végétales d'un printemps précoce pointent et dardent  effrontément


Un jour être pauvre, G. Manset  Lumières


A suivre…


 

1 commentaire:

  1. Mais oui, c’est bien cela, il y a un sortilège invisible porté par Huckleberry Finn. Il est impossible d’ailleurs de ne pas soupeser ce que Twain a bien voulu valider des existences, de nos existences qui peuvent être ensablées dans de minables lâchetés ou d’aventures exprimant que la vie puisse avoir une dignité inaliénable, un toupet monstre. La beauté chez « le vaillant bibliothécaire », par exemple.
    « … Qu’a voulu nous dire Twain ? Beaucoup de choses ; toutes raisonnablement décodifiées : que la vie ne mérite d’être vécue que pendant l’adolescence et que l’adolescence, le territoire de l’immaturité, peut se prolonger aussi loin que se prolonge la liberté de l’individu. A simple vue, cela semble peu pour un père fondateur. Cela ne l’est pas si le discours (qui est le discours de Thoreau et de Rousseau, qui fut un père néfaste) s’appuie sur la vigueur et l’humour, et sur ces terrains-là, personne ne peut faire d’ombre à Mark Twain, sa vigueur, qui s’appuie sur la langue et les tournures populaires, est unique, son sens de l’humour très noir, aussi.
    Personne ne s’en tire indemne lorsque Twain prend la plume, personne ne s’en tire lorsque Twain lance dans une vie vagabonde son fils Huck, au fil de ce Mississipi qu’il a tant aimé, à la recherche de la liberté et de la liberté de Jim, un noir qui cherche à échapper à l’esclavage, et le voyage de ces deux personnages qui, avec le cinglage du Pequod, est la quintessence de tous les voyages, est un voyage absurde, car au lieu de naviguer vers l’amont, ou de prendre l’embouchure du fleuve Ohio et de se diriger vers les Etats abolitionnistes, ils naviguent en aval, directement vers le cœur des Etats esclavagistes, et cela, qui aurait mis n’importe qui au bord de la dépression ou de la crise de nerfs, troublera à peine la vie de Huck, qui fuit son père, et de Jim, qui fuit la société, sur ce radeau où ils vivront des aventures, connaîtront des personnages incroyables, feront naufrage et referont surface.
    Survivre. C’est là un des sortilèges que le lecteur trouve dans ce roman. Aptitude à survivre. Lu avec attention, et relu au moins dix fois, il est même possible que quelque chose de ce sortilège se déprenne de ses pages et commence à circuler dans celui qui le lit.
    L’autre sortilège, c’est celui de l’amitié. Lorsque Huck, après avoir fait une blague à Jim, découvre avec tristesse qu’il l’a offensé, ou lorsque tous deux se mettent à se rappeler ce qu’il y avait de bon dans ce qu’ils ont laissé derrière eux – Jim : sa famille, Huck : Tom Sawyer et pas grand-chose d’autre -, ou lorsque, plus souvent, ils paressent sur leur radeau, dormant ou pêchant, ou effectuant les travaux que demande le maintien en bon état du radeau, ou lorsque tous deux passent par des moments de danger, ce qui finalement reste est une leçon d’amitié, une amitié qui est aussi une leçon de civilisation de deux êtres totalement marginaux, qui se tiennent l’un à l’autre, s’occupent l’un de l’autre sans sensiblerie ni sentimentalisme d’aucune sorte, comme le font certains hors-la-loi, c’est-à-dire au-delà des limites des gens décents, parce-que Les aventures de Huckleberry Finn n’est pas un roman pour gens convenables, ce serait plutôt tout le contraire, et c’est curieux, car le succès du roman parmi les gens convenables ; qui en fin de compte sont les acheteurs et les consommateurs du roman, a été énorme, le roman s’est vendu (et continue à se vendre) en quantités astronomiques, ce qui en dit long sur les pulsions secrètes des gens convenables ou de la classe moyenne vers laquelle nous nous dirigeons, comme le rêvait Borges, et qui s’est sans doute peu lu dans les milieux les plus fréquentés par Huck, c’est-à-dire parmi les adolescents fils de pères alcooliques et maltraitants, fugueurs, ou parmi les escrocs et malfaiteurs, ou dans le milieu des Noirs, bien que, selon Chester Himes, Les aventures de Huckleberry Finn ne s’en sortent pas mal dans les bibliothèques des prisons de Etats-Unis./…/ »
    Roberto Bolano in « entre parenthèses » chapitre « Le vaillant bibliothécaire » chez Bourgois éditeur

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