U n b i l l e t s u r l' a u - d e l àjouez-moi ! ¤ |
Charcenay
"En voilà un qui veut donner l'impression de s'y connaître en géographie. Comme l'erreur reste possible, la prudence est de mise".
Robert Walser
Il vivait dans un monde que la géographie numérique venait d'évangéliser grâce à la conversion des grands balayages satellitaires. Malgré tout, Bartt s’en allait toujours sans carte ni boussole. C’est pourquoi ses longues promenades, peaufinées au fil des renoncements, de longues hésitations et de claires trouvailles, ne trouvaient une issue qu’après de longues répétitions, comme si le piéton Bartt bégayait ses aventures. Mais lorsque celles-ci confinaient au chef d’œuvre, comme ce fut le cas pour Bois Jésus, il n’était pas rare que Bartt rêvat de s'y rendre la nuit.
Dès lors qu’il quittait son deux pièces, sis sur les quais, il avait le choix entre remonter la Loire, ou la redescendre à grandes enjambées, pressé de mettre entre la rue Losserand et le lieu qu’il visait sans le connaître, la plus grande distance possible à parcourir, l’espace d’une journée. Il se sentait pénétré de la joie de suivre le fleuve rogue et dédaigneux, lequel, lorsqu’il venait baigner nos rives, se déchaînait en accélérant la cadence, après qu’il fut outrageusement ralenti par les bancs de sables formés autour de l’île aux oiseaux ou de l’île Simon, plus en aval. Ainsi, la Loire, cette épée limoneuse qui s'était forgée au gré d’une légende de noire paladine, s'était déjà troublée, en amont, au spectacle des berges de Chaumont, puis d’Amboise - alors Tours, vous pensez !
La rue du docteur Tonnellé s'élève depuis le Quai Du Portillon |
Bartt avait donc laissé le fleuve rouler sans lui, là où la route forme une fourche sur le quai du Portillon, remontant la petite rue du docteur Tonnellé, altière, qui s’était repue d’une saignée dans la roche, afin de gagner les quartiers hauts de Saint-Cyr-sur-Loire et de Fondettes pour profiter de la vue dégagée du faubourg aux riches manoirs arborés de cèdres bleus, de pins parasols et de désespoirs du singe. Il profitait de la pente qui menait au plateau pour accélérer, comme si le fleuve lui avait transmis sa fougue éternelle, mettant à l’épreuve son cœur et son souffle, sans pour autant se soucier du reste : son corps, ses membres locomoteurs, car Bartt avait une foi sans condition en sa jeunesse. Il pouvait mesurer sa passion dans son corps à l’aune d’une lampe magique qui se consumait en lui, et sa mèche était longue, et son combustible abondant. La première fois qu’il avait découvert la route de Charcenay, il s’était produit ce phénomène chez lui, s'en étant à peine inquiété, car à ce stade de sa vie, tout mystère lui semblait naturel, et puis vingt ans, c’est toujours l’âge avoué de la poésie ! Il doublait tranquillement le château de la Perraudière et son joli parc, qui l’avaient maintes fois accueilli, alors qu’il venait y lire ou tenter d’y écrire des poèmes qui n’avaient pas plus de valeur que le feutre à bille avec lequel il bleuissait ses petits carnets à spirales. Maintenant qu’il avait engagé ce nouveau rapport de force avec des jambes qui venaient tout juste d'enfiler une paire de bottes de sept lieues, il n’accordait même plus un regard au château. Il était devenu comme le fleuve traversant la ville : oublieux. Charcenay était une vallée où serpentaient les bras menus de la Choisille, qui gagnait en beauté dès qu’elle roulait son petit train de baudet aux abords de La Membrolle, la commune où son père avait claqué, après une lente agonie dans une maison de repos nommée Bel Air.
Le domaine de Bel Air à la Membrolle-sur-Choisille |
« Quel mystère dans l’attention dans la campagne »
ce vers, qu’aucun thuriféraire du poète, autour de lui, n’aurait su lui expliquer. Cependant, à l’instant même où la vallée de Charcenay s’était livrée dans une virginité confondante (la scène se passe en 1989), la grande silhouette du poète et romancier suisse Robert Walser, s’était imposée naturellement à lui, le renvoyant à la photo de couverture de la toute première étude connue à ce jour de l’auteur de Jacob Von Gunten, et de L’Homme à tout faire, où l’on découvrait le visage et le corps de Robert, droit comme un i, chaussé de gros souliers noirs, vêtu d’un costume trois pièces, et d’une cravate girouettée d’un nœud im-pec-cable, tenant son chapeau et son parapluie dans la même main droite, sur une route toute droite, bordée de longues barrières de bois écorcé, droites, elles aussi.
Relecture :.: .Snow...
:..Robin Plackert.: *
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